Avec ce Cole Porter in Paris, Christophe Mirambeau n’en n’est pas à son coup d’essai puisque nous avions déjà pu applaudir sa version de la Revue des Ambassadeurs à l’Opéra de Rennes en 2014. Dans le cadre fastueux du théâtre du Châtelet, il choisit cette fois, non de faire revivre un spectacle fameux en son temps, mais de rendre un hommage biographique à son compositeur de prédilection.
Profondément francophile, Cole Porter s’installe à Paris alors qu’il n’a pas trente ans à la fin de la première guerre mondiale. Il va y résider dix ans, y construisant son univers artistique avant de connaître un immense succès à Broadway au début des années 1930.
Christophe Mirambeau voulait « évoquer un Américain à Paris, dans le foisonnement culturel et musical de l’après Grande Guerre – les rencontres, les opportunités, les étourdissantes expérimentations artistiques du moment. » « D’une saveur toute fitzgeraldienne, émanation de ces Roaring twenties réelles et fantasmées, les humeurs musicales et les lyrics de Porter esquissent le portrait d’un esprit brillant à la nature exquise et sophistiquée » précise le concepteur du spectacle. « S’y dévoilent, pour peu qu’on y prête attention, les contours d’une âme secrète, tendre et tourmentée ; transparaît un personnage d’une grande liberté, qui assume ses désirs complexes malgré les contraintes morales de son temps. »
© Hélène Pambrun
Le metteur en scène évite le travers du spectacle biographique trop scolaire tout en dessinant avec délicatesse le parcours du chansonnier. Le spectacle est fort bien construit, alternant ensembles brillants, joyeux et moments d’intimité parfois très touchants. Parmi les solistes à l’anglais impeccable, Marion Tassou offre notamment des bulles d’émotion remarquables dans « Dream dancing » ou « I hate you darling ». Il faut dire que la chanteuse qui incarne l’épouse de Cole Porter, forte de sa formation classique, bénéficie d’un lyrique souple, fruité et bien projeté dont elle joue avec de suaves nuances.
Face à elle, Leovanie Raud impose son mezzo au timbre d’une torride sensualité doublé d’un formidable abattage et d’un talent de danseuse notable. Son « Let’s misbehave » est autant un régal que « The man I love » est poignant.
Cole Porter, le personnage principal de la soirée, n’est pas incarné par un, mais par trois chanteurs, l’occasion de trios à trois voix aux harmonies épatantes. Matthieu Michard est également pianiste et a sans doute une voix moins puissante et posée que ses comparses, mais ne démérite pas, loin de là.
Yoni Amar lui donne la réplique en crooner souple et velouté, doté de beaux graves, tandis que Richard Delestre offre le moelleux et le charme de la présence en dépit d’un soutien fragile sur les longues et de quelques aigus détimbrés.
L’orchestre est placé sur scène pour plus de proximité avec le public. Benjamin El Arbi et Mathieu Franot, fondateurs des Frivolités Parisiennes sont deux musiciens, ce qui est sensible dans l’orchestration efficace et raffinée pour quatorze excellents interprètes qui rythment la soirée avec un entrain communicatif et ne rechignent pas à prendre la parole avant quelques soli exemplaires, à l’exemple de l’excellent Benjamin El Arbi au basson dans « Maureesh Garden » ou du saxophoniste Eddy Lopez à la jolie voix.
© Thomas Amouroux
Tous s’intègrent parfaitement à l’écrin très réussi composé par la scénographe Casilda Desazars. Plutôt qu’une Tour Eiffel en fond de scène, elle choisit de nous ancrer dans l’univers artistique de l’époque – également évoqué avec talent dans les chorégraphies clin d’œil au Ballets Russes ou Suédois – avec des éléments abstraits qui descendent des cintres et animent l’espace de manière très graphique. Des panneaux ne révèlent l’espace scénique que peu à peu, créant là encore contraste et surprise. Alternant les tableaux pastels et color-block, tous contribuent à énergiser l’espace comme les lumières joyeuses et évocatrices de Renaud Corler.
Certes, on a vu plus époustouflant sur la scène du Chatelet – Sunday in Paris with Georges reste un moment inoubliable pour l’auteur de ces lignes – mais la mise en scène ne manque pas de charme avec les avions de « Pilot me » ou encore la superbe scène de « Love for sale ». Elle s’égare parfois dans un kitsch assumé quoi que discutable dans l’improbable danse des fourchettes.
Naturellement, le spectacle fait également la part belle à la danse et l’ensemble réjouit l’œil dans de très beaux tableaux de groupe orchestrés par Caroline Roëlands, à l’exemple du bal en rouge et blanc où, comme toujours, chaque artiste est bien individualisé. De même que la chorégraphe nous régale de toutes les danses de l’époque, Casilda Desazars, quant à elle, s’est sans doute beaucoup amusée à décliner l’évolution de la mode des années 1920 et 1930. Elle signe à la fois décors et costumes et y fait montre d’un art remarquable de la couleur et du contraste plein de fantaisie et d’élégance.
A l’issue de ces « Roaring 20’s » et après une trentaine de chansons, nous quittons Cole Porter avec « Take me back to New York ». A Broadway, c’est en mettant scène un Paris fantasmé qu’il connaîtra la gloire.