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Circé — Versailles

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Spectacle
18 janvier 2022
Circé, après un long voyage

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Tragédie en musique en un prologue et cinq actes
Musique de Henri Desmarest sur un livret de Louise-Geneviève Gillot de Saintonge
Création à Paris en 1694

Détails

Circé

Véronique Gens

Ulysse

Mathias Vidal

Astérie

Caroline Mutel

Éolie

Cécille Achille

Elphénor

Nicolas Courjal

Polite

Romain Bockler

Les Nouveaux Caractères

Direction musicale

Sébastien d’Hérin

Opéra Royal de Versailles, mardi 11 janvier 2022, 20h

Ce n’est pas sans heurts que la résurrection de la Circé d’Henri Desmarest a pu se faire. D’abord prévue pour mars 2020, la représentation avait été annulée en raison du premier confinement. Reprogrammé la saison suivante avec une distribution toute différente, le concert avait dû une fois encore être reporté. Mais mardi dernier, malgré la situation sanitaire incertaine, Circé a enfin pu être donné devant un public, ce qui ne s’était pas produit depuis la fin du XVIIe siècle. Malheureusement, Véronique Gens, titulaire du rôle principal, était annoncée souffrante – Circé serait-elle maudite ? On ne peut, dans ce contexte, que louer l’abnégation et la bravoure des organisateurs et de tous les participants de cette production, d’avoir permis et assuré le maintien de cette recréation précieuse.

Le livret de Louise-Geneviève Gillot de Saintonge, également librettiste de Didon – première œuvre de Desmarest redécouverte il y a deux ans – s’inspire de l’Odyssée et a pour cadre le séjour d’Ulysse sur l’île de la reine et magicienne Circé. Elle aime éperdument Ulysse ; celui-ci lui rend son amour en apparence, mais ne le fait que par ruse, pour s’assurer de ne pas être ensorcelé. Il aime toujours Éolie, une nymphe qui débarque sur l’île au début de l’acte III. Une autre nymphe, Astérie, proche de Circé, est quant à elle éprise d’un membre de la suite d’Ulysse, Polite. Mais elle est convoitée par Elphénor, qu’elle repousse.

L’entrelacement de ces intrigues galantes donnent lieu à une succession de scènes de dépit et d’amour, de jalousie et de tendresse, dans un langage qui aligne les lieux communs de style et de situation. Seule la très belle apparition d’Éolie au milieu de l’acte IV, à la recherche d’Ulysse, torturé par les Euménides que Circé a invoquées, reconsidère un topos d’une manière originale. Perdue, ne retrouvant plus son chemin, elle s’exclame : « Hélas ! on s’égare aisément / Quand on n’a que l’Amour pour guide », redonnant ainsi un sens, par la situation concrète dans laquelle elle se trouve, à cette moralité ordinaire qui veut qu’être amoureux rende aveugle et altère le jugement.

Musicalement, l’œuvre est très proche du style lulliste, bien que l’orchestration paraisse plus riche par endroits. L’intervention des bassons à la fin du récitatif accompagné d’Elphénor « L’inhumaine me fuit » – qui n’a presque rien à envier sur le plan expressif à « Enfin il est en ma puissance » – est particulièrement marquante. De même, le trio masculin lors de la scène du sommeil d’Ulysse, très directement inspirée du sommeil d’Atys, est d’une invention mélodique et harmonique étonnante. On peut aussi évoquer l’air d’entrée d’Éolie, au début de l’acte III, d’une grande fraîcheur de ton, et la scène finale de Circé, adroitement développée jusqu’au « chaos » provoqué par la magicienne avant le baisser du rideau. Circé n’est pas une œuvre décisive dans l’histoire de la tragédie lyrique en France, mais elle reste d’une belle facture.

L’enregistrement qui paraîtra d’ici un an révèlera peut-être mieux encore les richesses de la partition de Desmarest. En effet, les Nouveaux Caractères et Sébastien d’Hérin ne nous avaient pas habitués à de telles approximations de mises en place et à une telle uniformité d’expression : serait-ce dû à des changements de titulaires covidés, et donc à un manque de répétitions ? Les quelques passages solistes des instrumentistes témoignent pourtant de leur assurance et de leur engagement : mentionnons notamment Félix Leclerc aux percussions nombreuses et Isaure Lavergne au basson, qu’elle troque plus d’une fois pour des flûtes à bec.

Parée de la même robe écarlate qu’elle portait pour chanter Armide de Lully/Francœur au Théâtre des Champs-ÉlyséesVéronique Gens, pourtant souffrante et secouée par moments de quintes de toux, impose son autorité en Circé. Le verbe haut malgré une projection très affaiblie, elle garde ses qualités de déclamation et son maintien altier. Là encore, on ne peut qu’attendre l’enregistrement pour prétendre découvrir la dimension qu’elle comptait donner au rôle de Circé, surtout dans la scène finale, où la direction incertaine du chef ne l’aidait pas ce soir-là à passer outre son indisposition passagère.

Face à elle, Mathias Vidal apparaît plus véloce et énergique encore qu’habituellement, ce qui pourrait ne pas correspondre à l’image qu’on se fait du rusé Ulysse, mais ces qualités épousent parfaitement la dimension galante du personnage de Saintonge et Desmarest. On admire toujours chez lui cette franchise d’émission et cette clarté déclamatoire qui permettent d’accéder immédiatement à la ligne musicale et au texte. 

Après avoir chanté cet automne aussi bien Meyerbeer que HaendelNicolas Courjal se voit attribué un rôle lulliste, et le plus sombre de l’œuvre, celui du jaloux Elphénor, qui met fin à ses jours à l’acte III. La largeur de l’émission et l’expressivité un peu exagérée ne sont peut-être pas dans le plus pur style de la tragédie lyrique, mais s’avèrent d’une efficacité redoutable : toutes les  interventions de son personnage acquièrent une charge singulière. 

Caroline Mutel, au timbre tramé d’une délicate acidité, campe une Astérie affirmée et d’une belle présence, mais qui aurait pu parfois mordre plus dans le texte. L’Éolie de Cécile Achille est pleine de charme et de caractère. La jeune chanteuse est douée de très grandes qualités d’expression, alliées à un timbre fruité. Enfin, un peu sur la réserve dans le prologue, Romain Bockler se révèle être un solide et élégant Polite.

Les choristes chantant masqués, ils font ce qu’ils peuvent pour que leurs voix n’apparaissent pas trop floues, mais on perd forcément en netteté d’élocution. On observe très rapidement que chacun des membres du chœur aurait pu être distribué en soliste, surtout quand on entend le registre aigu magnifiquement timbré de Mathieu Montagne ainsi que l’abattage, les couleurs et l’autorité d’Arnaud Richard en Phaebetor. Cécile Granger et Marie Picaud, qui tenaient des petits rôles solistes d’Amour et de nymphes, étaient également remarquables. 

 

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