Créé en 2012 à Madrid à l’initiative de Gerard Mortier au lendemain des printemps arabes, C(h)oeurs, conçu par Alain Platel avec ses danseurs de la C de la B, renait grâce à l’Opéra des Flandres, ses chœurs et son ballet auxquels se sont joint deux danseurs de la compagnie originelle. Constitué des tubes verdiens et wagnériens du répertoire pour chœur, le spectacle dresse des ponts entre les deux figures irréconciliables du romantisme musical du XIXe siècle, entre deux arts, la danse et le chant, qui se produisent sur la même scène mais rarement concomitamment et enfin entre la scène et la salle. Réunir Verdi et Wagner fait sens : le premier, figure de proue de l’unité italienne, le second, à la jeunesse révolutionnaire, expriment tous deux dans leurs esthétiques respectives des voix de la révolte des masses, la ferveur ou l’apitoiement. La danse, en ce qu’elle donne à voir des corps qui luttent, politisé pourrait-on dire, épouse ce mouvement. Bien entendu, on retrouve certaines des stations de l’époque qui n’ont pas perdu de leur vigueur comme le lancer de chaussure (symbole des révoltes arabes) auxquels se sont adjoints de petits drapeaux or et bleu brandis inopinément par les choristes et les danseurs pour finir d’ancrer le spectacle dans notre actualité.
Le tout se marie avec force, porté par un orchestre de l’opéra des Flandres chauffé à blanc par Alejo Perez dès la pièce d’ouverture du spectacle, le Dies Irae du requiem attaqué de manière tonitruante et sur un tempo infernal. Si les premiers extraits retenus font la part belle aux décibels, l’orchestre conserve une texture riche et une vivacité remarquable. Les chœurs présentent un front uni, homogène qu’ils conserveront toute la soirée. Dans le détail, ce sont les barytons et les ténors (notamment le deuxième groupe) qui se taillent la part du lion : puissance, mordant, couleurs… tout y est. On est moins séduit par des sopranos qui peinent à l’aigu et concèdent quelques acidités.
© Filip Van Roe
Les danseurs forcent l’admiration tant la performance, sur près de deux heures, est époustouflante. On compatit avec Morgan Lugo qui hérite, à demi-nu, des répliques du Roi Heinrich pour accompagner le chœur dans cet extrait de Lohengrin. Ses « lala » ne rentreront pas dans l’histoire de l’interprétation du rôle et pourtant l’effet en est saisissant. C’est là tout l’intérêt au final de cette proposition : joindre les individus en un tout, ou bien les opposant aux autres et interpeller la salle à l’occasion pour achever de réunir tout le monde dans ce spectacle bien nommé.