Une fois de plus, le Festspielhaus de Baden-Baden a choisi Nikolaus Lehnhoff pour la mise en scène d’une nouvelle production d’opéra. Déjà invité pour Parsifal en 2004, Lohengrin en 2006, Tosca en 2007 et Tannhäuser en 2008, cet assistant de Wieland Wagner dans les années 60 à Bayreuth devient incontournable – sinon envahissant. On pourrait espérer un peu plus de variété de la part du Festsipelhaus. Il est vrai qu’avec Lehnhoff, on sait à quoi s’attendre : une mise en scène chic et plutôt lisse mais avec quelques aspérités, quelques belles images et trouvailles. L’ennui est que la froideur et le manque d’intensité ne sont jamais loin…
On retrouve tout cela chez cette Salomé peu dérangeante. À commencer par un curieux décor de parking bétonné en ruine (que l’on a l’impression d’avoir déjà vu…), sans doute le symbole de la cour décadente d’Hérode ou une volonté de placer l’action de nos jours à la frontière israélo palestinienne… L’ensemble n’est pas très séduisant, mais l’espace est bien exploité. La direction d’acteurs est sans surprise si ce n’est pour le rôle de Jochanaan, très physique, voire érotique. Du coup, son statut de prophète passe un peu à la trappe, surtout lorsqu’il semble vaciller au contact de Salomé, car les deux personnages se touchent beaucoup durant leur face-à-face, qui tourne ainsi au corps à corps.
Le recours à une chorégraphe pour la Danse des sept voiles n’apporte hélas rien de bien convaincant. Quant au finale, il laisse dubitatif. Si Lehnhoff réussissait formidablement les dernières images de son Elektra salzbourgeoise l’été dernier (de lugubres oiseaux noirs sortant du palais de Clytemnestre, prêts à se jeter sur Oreste), il n’en est pas de même avec celles de cette Salome qui tombent à plat, au point d’en laisser le public interdit quelques secondes après les dernières notes fracassantes de la partition. L’esclave (très bodybuildé) qui s’est chargé de couper la tête de Jochanaan, réagit à l’ordre d’Hérode de tuer Salomé non pas en tuant celle-ci mais Hérodias… Un lourd rideau noir tombe ensuite. La rapidité des événements laisse circonspect devant ce choix pour le moins curieux…
Par bonheur, l’exécution musicale apporte davantage d’intensité. La direction de Stefan Soltesz que l’on retrouve après son Elektra « chambriste » à Genève l’hiver dernier est excellente. Ici, point de demi-mesure, mais au contraire un geste plein d’énergie, de force et de rutilance. L’intensité de cette direction ne repose pas seulement sur les décibels mais sur une vivacité et une réactivité formidables. On notera par exemple la mise en valeur des timbales dont la partie est si étonnante et si novatrice pour l’époque (on ne retrouve l’équivalent que chez Janacek) ou le son très profond du tam-tam parfaitement choisi par les percussionnistes de l’orchestre.
Ce beau et intense théâtre peut se reposer, justement, sur un admirable Deutsches Symphonie-Orchester Berlin confondant de maîtrise et de splendeur. Le volume jamais ne sature ; l’ensemble reste toujours beau malgré la puissance réclamée par le chef ; les solistes sont remarquables (le timbalier notamment) ; le bonheur est constant.
Trois ans après l’avoir entendue dans ce rôle à Munich (voir notre compte-rendu), nous retrouvons avec grand plaisir la formidable Angela Denoke dans l’un de ses rôles fétiches. Tout ce que nous écrivions alors sur sa prestation pourrait pratiquement être ici recopié tel quel : présence magnétique, musicalité de tous les instants, aigus planants, medium riche, grave sonore (le Sol bémol final !) et surtout, cette « netteté » du chant (on sait toujours quelle note est exécutée) et cette puissance de l’incarnation qui bouleversent absolument. Quelques sons bas n’empêchent pas d’être une nouvelle fois ébloui par cette formidable artiste.
Tout comme à Munich également, on retrouve le Jochanaan d’Alan Held toujours aussi impressionnant. Avec sa voix belle et puissante, le chanteur se jette à corps perdu dans le rôle (la mise en scène l’y aide beaucoup). Ce n’est peut-être pas très subtil, mais c’est intense !
Légère déception en revanche pour l’Hérode de Kim Begley qui manque lui aussi d’un peu de subtilité bien qu’il assure sa partie en la chantant intégralement, ce qui n’est pas si fréquent dans ce rôle. Le ténor joue davantage sur les aigus, émis avec force, que sur le texte, pourtant primordial. C’est un peu dommage.
Doris Soffel assure également sa partie avec force décibels. Plus furie que jamais (et un rien cabot), on comprend à la limite la volonté d’Hérode de s’en débarrasser ! Elle n’en reste pas moins une très bonne Herodias.
Il faut enfin noter l’excellence des rôles secondaires : du joli timbre et de la voix bien placée de Marcel Reijans en Narraboth au très séduisant page de Jurgita Adamonyté.
Après Der Rosenkavalier donné en 2009, Elektra l’an dernier et cette Salome, le Festspielhaus de Baden-Baden poursuit dans la veine straussienne en programmant l’année prochaine Ariadne auf Naxos dirigée par Christian Thielemann, avec une distribution luxueuse (Fleming, Koch, Dean Smith, Archibald, René Kollo en Intendant) et cette fois un autre metteur en scène que Nikolaus Lehnhoff (Philippe Arlaud).