Au printemps dernier, la création d’une Académie de l’Opéra-Comique avait été annoncée en fanfare, et l’on attendait avec impatience d’entendre les heureux élus se produire dans un spectacle conçu à leur intention. On avait déjà pu en voir quelques-uns dans Ciboulette en février dernier, on en retrouvera certain dans Marouf, mais cette Cendrillon de Pauline Viardot nous les montre ensemble, avec une double distribution (seule Sandrine Buendia, cendrillon les 17 et 19, deviendra une des méchantes sœurs le 18 ; quant à la Fée et au comte Barigoule, un seul interprète est prévu pour les trois représentations).
Premier constat qui s’impose : l’argent manque, on le sait, et cela se voit un peu. Ce spectacle semble d’abord se présenter plutôt sous l’aspect d’un récital de mélodies accompagnées au piano. Quant à la « participation de Mireille Delunsch », annoncé dans le programme de la saison, elle semble s’être envolée entre temps, même si l’on n’a jamais su en quoi elle devait consister exactement. C’est donc dans une absence de décor que va se dérouler la soirée, avec la cage de scène révélée dans toute sa nudité, selon un procédé très tendance en ce moment. Le spectacle démarre sans crier gare, dès qu’arrive la première à chanter ce soir-là. Cécile Achille, qui semble vouloir se faire le clone vocal de Natalie Dessay, interprète une première mélodie de Pauline Viardot. L’actrice Marie Bunel commence par lire, puis déclame bientôt des textes de la dame, puis on enchaîne avec une autre mélodie, et tout cela tourne vite au pensum. La scène se remplit peu à peu de jeunes gens en tenue de tous les jours, l’un d’eux se déchausse et mime vaguement des choses peu claires : la mayonnaise ne prend pas du tout, et l’ambiance se voudrait enjouée mais sonne terriblement faux. Comme la Cendrillon de Viardot durerait à peine trois quarts d’heure, on a voulu que les spectateurs en aient pour leur argent, mais c’est une très mauvaise idée que d’exposer les « Académiciens » à une telle épreuve, mis à nu devant le public qui s’attend à du théâtre mais auquel on offre une sorte de liederabend bancal.
Arrive enfin Cendrillon, et là, fort heureusement, tout change. La musique composée par Pauline Viardot est mieux qu’habile, elle est fort bien venue, et le livret rédigé par son fils Paul est amusant, avec le père, ancien épicier devenu baron, seule véritable nouveauté, le reste de l’intrigue reprenant celle de la Cenerentola rossinienne, avec échange de rôles entre le prince et son chambellan. La partition offre quelques airs comiques, pour le baron et Barigoule, ainsi que quelques jolis duos, pour le prince et Cendrillon ou pour les deux sœurs. Scéniquement, les choses s’animent d’un semblant de vie théâtrale, et les Académiciens si empruntés dans le prologue se métamorphosent enfin en acteurs. On s’amuse, on rit, comme lorsque le prince se déchausse et offre ses propres baskets à Cendrillon en guise de pantoufle de verre (ou de vair). On est malgré tout un peu effaré de voir qu’il a fallu deux personnes pour concevoir ces « costumes », et que les « décors » ont également un auteur, alors qu’ils se limitent à quelques chaises, trois coussins, une vieille toile peinte, et une pente en bois qui se relève à la verticale pour le dernier tableau.
Vocalement, on découvre des talents forcément inégaux, et de manière générale les dames semblent plus gâtées que les messieurs. Safir Behloul donne souvent l’impression de parler plus qu’il ne chante, tandis que Ronan Debois souffre d’un fort vibrato (qu’il faut peut-être attribuer au trac dans la première partie de la soirée, car il était bien plus en forme dans Mesdames de la Halle à Lyon). François Rougier, vu récemment dans Croquefer et L’Ile de Tulipatan, est un ténor solide, qui gagnerait encore à polir une émission parfois un peu brutale (et qui a parfois tendance à grimacer trop quand il chante). Sandrine Buendia révèle un timbre charmant en Cendrillon. La mezzo Alix Le Saux, très drôle en méchante soeur, n’a rien à interpréter en solo, et c’est dommage, car ce qu’on entend donne envie d’en entendre davantage. Remarquée dans Echo et Narcisse de Gluck au CNSM, Magali Arnault Stanczak se déchaîne dans le personnage de la Fée, surtout dans les variations sur Ah, vous dirais-je Maman, extraites du Toréador d’Adolphe Adam, qui est ici l’air qu’elle choisit d’interpréter à la Cour où elle est invitée, le livret prévoyant que l’interprète choisira le morceau qu’elle préfère (et effet, pour rallonger encore un peu la sauce, on a eu l’idée de faire chanter aussi les autres invités, comme c’est la tradition dans La Chauve-Souris, ce qui nous vaut notamment un beau Desdichado de Saint-Saëns) : Patricia Petibon dans ses œuvres ferait presque figure de communiante à côté de cette colorature-ci, qui multiplie les suraigus et manifeste une vraie nature de comédienne. A la fin du spectacle, Mireille Delunsch vient saluer : même si elle n’a pas chanté ce soir, c’est bien elle qui a préparé les chanteurs. On la savait soprano, metteuse en scène, et maintenant elle enseigne.
Ce spectacle tournera ensuite en France, notamment à l’Opéra de Reims (14 mai), au Théâtre de Cornouaille (7 et 8 juin)
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