Cette nouvelle production de The Turn of the screw due à Willy Decker mais achevée par Jan Essinger (Willy Decker ayant dû abandonner pour raisons de santé) fait furieusement penser à la production de Luc Bondy créée au Festival d’Aix-en-Provence en 2001 : même univers glacé, presque aseptisé, même dénuement d’un intérieur très chic. Mais là où Bondy faisait se mouvoir les parois de manière inquiétante, Decker fait simplement tourner le plateau en continu. Ce dispositif systématique devient quelque peu lassant malgré les changements de vitesse et d’accessoires sur le plateau et malgré les apparitions surprenantes qu’il permet. Surtout, une telle scénographie montre tout dès le début et ne laisse rien dans l’ombre ce qui peut paraître un contre-sujet pour un tel ouvrage où l’inconnu et l’étrange ont une place prépondérante.
La direction d’acteurs renferme par contre de belles idées, les apparitions des « spectres » de Quint et Miss Jessel sont parfois très réussies bien que les réactions de la Gouvernante varient : soit elle semble voir les spectres, soit elle semble les ignorer, comme s’ils étaient le fruit de son imagination, ce qui provoque un certain flou dans l’approche dramaturgique. Cela n’en occulte pas pour autant la force de quelques scènes, par exemple lors du solo de Miles « Malo, Malo », le début de l’acte II lorsque Miss Jessel est « multipliée » par 8 (une image très carsénienne) ou la scène finale… même si l’on n’atteint pas la force de la production de Luc Bondy. On en finirait par croire que ce travail parfois lisse, voire froid, manque d’un peu de personnalité…
… Et on en viendrait presque à penser la même chose de la partie musicale concernant certains chanteurs à commencer par Layla Claire dans le rôle de la Gouvernante. Cette jeune soprano malgré un bel investissement, une voix saine et solide, paraît quelque peu transparente et n’arrive pas à complètement habiter le rôle. Il en est hélas de même avec les deux enfants qui, là encore, malgré une certaine aisance scénique et des voix bien conduites, semblent plus traverser l’action que la vivre réellement : trop uniformément sages ou droits et pas assez étranges ou vénéneux quand il le faudrait…
A un autre niveau se situent les partenaires à commencer par le remarquable Pavol Breslik qui campe un superbe Quint (et le narrateur du Prologue qui n’est autre que l’oncle des enfants embrassant furtivement la Gouvernante sur la bouche…). S’il lui manque un brin d’idiomatisme, il captive par sa prestance, sa présence et un fort beau timbre. La Miss Jessel de Giselle Allen apporte les mêmes satisfactions tout comme la Mrs Grose d’Hedwig Fassbender à l’aise dans une tessiture qui ne ménage pourtant pas le haut du registre.
Il faut enfin louer la superbe direction de Constantin Trinks, nuancée et fine, à la tête d’un Philharmonia de Zürich très soigneux avec surtout de magnifiques bois dont il faut particulièrement distinguer Clément Noël au hautbois qui nous gratifie par ailleurs de splendides solos de cor anglais.