Berio la concevait comme « un paysage, une base sonore qui génère des évènements musicaux toujours différents (chants, hétérophonies, polyphonies etc), des images musicales gravées telles des graffiti sur le mur harmonique de la ville ». L’œuvre monde qu’est Coro agit comme un écho lointain des expériences bruitistes d’une Italie en proie au futurisme. Ne faisons bien sûr pas dire au compositeur ce qu’il n’a pas dit : tout sépare les recherches sur le son assez grossières de Russolo de l’instrumentation raffinée et savante de Berio. Cependant, cette volonté de réunir en une grande fresque musicale une vie humaine fourmillante de détails rapproche les deux mouvements et est plutôt à l’avantage de l’auteur de la Sinfonia.
Comme dans cette dernière, Berio procède par collages de textes, superposant des chants d’amour venus du monde entier au recueil de poèmes Residencia en la tierra de Pablo Neruda. En trente-et-une miniatures, ce sont autant de manières de combiner les quarante voix et instruments qui se déroulent, glissant à travers ces « rideaux » harmoniques que forment les masses orchestrales et chorales utilisées pour accompagner les vers de Neruda. De la cantilène à la récitation scandée en passant par le scat, Berio nous rappelle sa collaboration avec la virtuose Cathy Berberian, qui aura fait naître bon nombre de chefs-d’œuvre vocaux contemporains.
Pour escalader la montagne Coro, il faut des chanteurs solidement harnachés les uns aux autres. Car si les longues plages chorales en tutti sont le véritable liant de l’œuvre, il ne reste pas moins de solos aussi brefs que redoutables, disséminés à chaque pupitre de chanteur. Le son de groupe de l’Ensemble Aedes préparé par Mathieu Romano se prête très bien à ce répertoire : les nuances sont homogènes, l’intonation est on ne peut plus nette, le tout en conservant une souplesse et une malléabilité dont le chef se régalera. Pour ce qui est des solos, ils nous réservent quelques belles surprises, mais certaines interventions (notamment chez les renforts masculins) restent un peu en dessous de ce que l’on pourrait attendre d’un tel niveau de préparation.
D’autant plus que les quarante autres solistes (instrumentistes) sont en forme olympique ce soir. Epaulés par une poignée de membres de l’Ensemble intercontemporain, les élèves du CNSMDP montrent qu’ils ont déjà toutes les épaules nécessaires pour assumer la virtuosité technique qui est la marque de fabrique de Berio. Le piano de Chae Um Kim, la clarinette d’Anaïde Apelian et le trombone de Lucas Ounissi sont autant d’heureuses interventions.
Lui aussi très en forme ce soir, Matthias Pintscher se taille la part du lion dans les blocs sonores de la pièce. La battue très construite se fait rapidement plus volatile dès qu’il s’agit d’accompagner des chants populaires, tout en conservant la précision qu’on lui connait, condition sine qua non pour faire tenir cet orchestre qui alterne sans cesse le chant, le cri et le chuchotement.