La précédente production de Simon Boccanegra de l’Opéra national du Rhin, datant de 1999, nous avait marqué avec une très belle mise en scène de David Poutney et une distribution réunissant, côté masculin, Carlo Guelfi et Julian Konstantinov qui avaient fait des étincelles.
D’étincelles, ce soir, il n’y en a guère eues, il faut l’avouer. La faute principalement à une distribution très inégale.
Sergey Murzaev, en Simon, affiche un matériau impressionnant et sonore, mais le chanteur donne trop dans la puissance et peine à nuancer sa voix. Les tentatives de demi-teintes échouent la plupart du temps et rendent sa mort peu convaincante et peu émouvante… Seule la scène du conseil le voit sous son meilleur jour. Si, indiscutablement, le matériau est intrinsèquement très beau, il semble encore un peu trop brut de décoffrage et mériterait davantage de finesse.
Avec Michael Ryssov en Fiesco, on reste dans les décibels mais aussi dans le manque de finesse et surtout, de noblesse. Le timbre est assez banal et la ligne de chant, assez prosaïque, manque singulièrement d’élégance. L’acteur est en outre assez maladroit, avec des postures assez convenues.
Nuccia Foccile ne convainc pas totalement elle non plus. La faute à la maturité de la chanteuse qui ne colle guère avec la jeunesse du rôle qu’elle incarne… La voix, dont l’usure est assez sensible (le vibrato notamment), ne convient en outre pas vraiment au soprano lyrique exigé ici. L’artiste réserve malgré tout quelques beaux moments mais l’on a vraiment peine à croire à son personnage qui, là encore, manque de classe et de noblesse…
Par contre, le Gabriele d’Andrew Richards nous a comblé. Ce magnifique ténor a déjà tenu ici (en 2006) un prometteur Don Carlos et depuis, le chanteur a pris une grande assurance et se donne toujours avec autant de générosité sur scène, ce qui rend son incarnation d’une intense force dramatique. Richards affiche un timbre d’une grande beauté, avec notamment des aigus rayonnants et comme électriques, et offre un chant superbe, non avare de nuances, dans un rôle sans doute parmi les plus difficiles – sinon ingrats – du répertoire de ténor verdien. Et si quelques rares sons un peu bas sont à relever, la fougue du chanteur emporte tout et convient parfaitement au personnage impulsif de Gabriele. Une réussite de plus pour ce merveilleux artiste particulièrement attachant et exaltant.
Autre belle réussite, le Paolo de Roman Burdenko. Très beau baryton, à la voix puissante, offrant de solides aigus mais aussi un grave consistant, il sera sans doute plus tard un très beau Simon (on en aurait presque souhaité qu’il incarne le rôle ce soir !).
Le chœur fut moins convaincant que d’habitude, entre un chœur féminin trop trémulant (dans le sublime air de Fiesco du Prologue, décidément bien mal servi) et un tutti tout en force…
L’Orchestre symphonique de Mulhouse a, de même, paru moins en forme, mais cela est sans doute dû à la direction très inégale de Rani Calderon. À son meilleur dans une scène du Conseil assez réussie, sa direction connaît par ailleurs de terribles trous (par exemple dans un Prologue vide, creux, handicapé par des silences qui semblent interminables). Le manque de rythme dramatique est souvent cruel, et, en contrepartie sans doute, les accélérations qui accompagnent certaines fins d’acte nous ont paru frôler le mauvais goût. Les tempi sont d’ailleurs parfois très rapides (comme par exemple dans le duo entre Simon et Amelia, empêchant à cette sublime musique de parfaitement émouvoir) ou nous ont semblé incohérents comme par exemple dans la scène du deuxième acte entre Simon, Amelia et Gabriele où celui-ci doit chanter les mêmes phrases mélodiques (« Dammi la vita » puis, plus tard, « Dammi la morte » – géniale trouvaille de Verdi soit dit en passant) à deux tempi différents (la deuxième fois plus lente que la première). On pourra cependant trouver un travail certain sur la sonorité, mais qu’il est difficile d’équilibrer l’accompagnement du sublime air d’Amélia au début du premier acte !…
La mise en scène de Keith Warner, qui, par bonheur, nous fait grâce d’une quelconque actualisation, se caractérise avant tout par une belle et ingénieuse scénographie permettant une très habile maîtrise de la surface scénique : dans un cube, deux grands panneaux mobiles délimitent des espaces avec une grande variété, ce qu’augmente la présence de portes sur ces panneaux. Les personnages passant ces portes alors que les panneaux se déplacent donnent ainsi l’impression qu’ils changent de pièce. Les panneaux sont en outre superbement décorés sur une de leurs faces par la reproduction de fresques de Mantegna du Palais ducal de Mantoue (mais pourquoi diable des croix blanches les parsèment-ils ?…). L’opposition entre les costumes sobres et noirs des patriciens et ceux, colorés et chatoyants, des plébéiens est elle aussi une belle idée. Tous ces éléments sont parfaitement mis en valeur par les superbes éclairages de Wolfgang Goebbel.
On sera par contre plus dubitatif sur l’utilité d’un bassin rempli d’eau à l’avant-scène. Que symbolise-t-il ? La mer ? (il fait davantage penser à un égout…). Et surtout à quoi bon en faire sortir Simon au Prologue puis y faire traîner Paolo à la fin de la scène du Conseil ?…
La direction d’acteurs est soignée mais discutable car les personnages manquent, de manière générale, de noblesse et de grandeur. Cela est particulièrement cruel pour Amelia ou Fiesco, mais aussi pour la mort du Doge où, après avoir titubé une bonne partie du temps après qu’il ait absorbé le poison, Simon est obligé de se traîner au sol de manière assez ridicule…
Décidément, Simon Boccanegra, sans doute l’un des plus beaux ouvrages de Verdi, est bien difficile à réussir et la mythique production d’Abbado-Strehler à la Scala semble décidément plus mythique et insurpassable que jamais…