Après un concert d’ouverture en forme de florilège musical mélangeant esthétiques, époques et interprètes variés, cette deuxième soirée de Présences se voulait davantage ancrée dans la musique du présent. La tête d’affiche du festival Pascal Dusapin invitait la musique de Jean Barraqué dans un concert intense et contrasté.
Avouons-le, Barraqué est l’un des grands méconnus de la musique française d’après-guerre, puisqu’il n’y a guère que sa Sonate pour piano qui soit parvenue aux oreilles de quelques initiés. Il a donc fallu l’engagement sans faille de Laurent Feneyrou et des éditions Bärenreiter pour que son œuvre sorte timidement de l’oubli.
En guise de prélude, Jean-Frédéric Neuburger interprétait quelques pièces de jeunesse du compositeur. On y sent la personnalité d’un compositeur se cherchant encore une identité, louchant aussi bien vers Messiaen et Bartók que vers Webern et ses Variations pour piano. Juste avant d’adopter pour de bon un langage strictement sériel, Barraqué compose une étrange cantate, présentée ce soir en création mondiale plus de soixante ans après son élaboration : La nostalgie d’Arabella. Ne vous fiez pas à ce titre languissant : aucune référence straussienne cachée, et pas plus de trace de mélancolie dégoulinante façon Arianne à Naxos. Le texte espiègle et plein d’esprit de Maurice Beerblock invite l’auditeur, les musiciens et (qui sait?) le compositeur à « faire rire, faire rire la triste Arabella », par tous les moyens (banjo, ananas de l’Arizona, noix de l’Illinois, n’importe quoi).
Dans ce monologue d’une énergie délirante, qui n’est pas sans rappeler la « pitoyable aventure » chez Ravel, Isabelle Druet jongle avec les humeurs les plus variées. Tantôt désespérée, amusée, en colère ou vulgaire, elle profite de chaque rupture dans le discours pour mieux nous faire aimer la pièce. Son mezzo brillant et fruité sied admirablement à la partition. Guillaume Bourgogne organise efficacement une musique diablement virtuose, défi que l’ensemble Cairn, et tout particulièrement la pianiste Caroline Cren relèvent avec brio.
La véritable nostalgie, on la retrouve en deuxième partie de soirée dans la musique de Pascal Dusapin. Jetzt Genau ! – concertino aux accents janačekiens, ne serait-ce que par l’emploi d’un la bémol mineur obsessionnel – est l’une des très bonne pièces du Dusapin « troisième période ». La musique est virtuose et emportée, certes, mais elle ménage de réels moments de poésie, à l’image d’une belle ouverture harmonique dans les dernières minutes.
L’ensemble Cairn délaisse les couleurs crues de Barraqué pour une palette plus sombre, « masse grave, lourde et cependant somptueusement colorée » aurait pu écrire Grisey.
La frénésie toute contrôlée de Jean-Frédéric Neuburger fait des miracles dans cette pièce tumultueuse. On retrouve le même engagement d’un lyrisme poignant dans la création du cycle Piano Works, où le pianiste porte chaque phrase comme si c’était la dernière.
Diffusé en live par France Musique, ce beau concert est à réécouter en podcast sur le site de la radio.