Miroirs Etendus, jeune compagnie lyrique des Hauts de France, s’appuie sur deux partenaires institutionnels incontournables du territoire, l’Atelier Lyrique de Tourcoing et la Barcarolle à Saint-Omer, pour l’ambitieuse programmation de cette première Biennale d’Art Lyrique qui propose pendant dix jours plus de vingt quatre spectacles, concerts et événements dans l’espace public de cinq communes à des tarifs défiants toute concurrence.
La première journée a un parfum d’Italie avec deux concerts de haute volée.
Le jeune ensemble Agamemnon a obtenu le prix du jury de la résidence Jean-Claude Malgloire avec un programme remarquablement construit autour de la figure puissante d’Artemisia Gentileschi.
François Cardey, cornettiste et directeur artistique de l’ensemble, n’en n’est pas à sa première incursion dans les Beaux-Arts puisqu’il avait crée en 2018 les Cantates de la Peste de M. Weckmann et K. Förster, en y associant les projections 3D de Brueghel l’Ancien, Bosch et Dalí.
Cette fois, cinq tableaux d’Artemisia Gentileschi sont convoqués afin de tisser échos et reflets entre les toiles, leurs sujets et la musique. Au plaisir de ce prisme pictural s’ajoute l’originalité de la formation proposée qui associe cornets, violon, basse de viole, harpe triple à l’orgue et au clavecin. L’oreille a grand plaisir à cette association inhabituelle qui renouvelle la pâte sonore du concert et permet en outre de nombreuses découvertes.
François Cardey, au plus près de ses musiciens, ne dirige pas la phalange. Toutefois, il impose dès l’ouverture l’autorité de son instrument, le cornet, avec la sonate n.11 de Giovanni Battista Fontana. La harpe de Louis Capelle lui donne la réplique avec brio dans le Salve Regina d’Orazio Taditi ou en soliste dans la rare Canzon sopra Susanna d’Ippolito Tartaglino.
Annaëlle Blanc-Verdin au violon, d’abord timide, prend rapidement confiance, en particulier dans la toccata con spinetta e violino de Frescobaldi. Le continuo, composé de Sarah van Oudenhove et Freddy Eichelberger, fait montre quant à lui, d’autant de solidité que de sensibilité, notamment dans le bel Ave Stella de Lucretia Orsina Vizana, l’une des rares religieuse éditée à l’époque et pourtant méconnue.
La soprano Amandine Trenc y épanouit sa voix légère au timbre frais et lumineux ainsi que son excellente diction – toujours un défi dans les acoustiques ecclésiales. Elle la met au service de partitions prenantes comme la Susana combattuta de Domenico Mazzocchi tout en clair-obscur qui évoque l’épisode biblique de Suzanne et les vieillards ou encore dans le touchant tableau final qui brosse avec maestria plusieurs facette de la figure de Marie Madeleine dans la Sinfonia nona de Salmone Rossi, la Madalena ricorre alle lagrime de Domenico Mazzocchi aux audacieuses combinaisons chromatiques et enfin l’Amo Christum d’Alessandro Grandi.
Auparavant dans la salle du Conservatoire, Emmanuelle Haïm avait choisi pour sa part de convoquer de grandes figures féminines de l’histoire romaine dans une enthousiasmante proposition où éclatait le talent de Chiara Skerath.
Mélisande à Bordeaux, Poppea à Nantes, déjà entendue à plusieurs reprise à l’ONP, la jeune soprano suisse bénéficie d’un timbre généreux aux médiums larges, aux graves charnus et d’une émission parfaitement maîtrisée qui murmure, sanglote ou s’indigne avec la même justesse dans l’émotion, comme dans la superbe cantate La morte di Lucretia de Michel Pignolet de Montéclair. Déployant ses talents de comédienne dans les récitatifs, elle garde beaucoup d’élégance et de retenue dans les airs. Peut-être serait-il intéressant de plus jouer d’une « laideur » volontaire dans le timbre ? Et bien non, comme cette couleur n’apparaît que rarement, elle en devient mémorable.
De même, il faut attendre le dernier bis pour découvrir la chanteuse légère, délicieusement mutine avec un charmant « Ho un non so che nel cor » , faut-il le regretter alors qu’il emporte l’adhésion générale ? Il y a là, décidément, la preuve d’une intelligence aiguë dans la construction du programme.
La figure maléfique de Néron plane sur la soirée : le concert s’ouvre sur le difficile « Addio Roma » d’une Ottavia désemparée dont la chanteuse ne fait qu’une bouchée. Il s’achève avec Agrippine dans la Cantate de Haendel, Agrippina condotta a morire où Chiara Skerath élargie brillamment l’éventail de sa palette émotionnelle pour incarner cette mère écartelée entre la tentation du suicide ou celle du meurtre d’un fils odieux. La voix ductile de la soprano se fait pyrotechnique avec des vocalises très instrumentales dans « Orrida oscura », déploie son expressivité dans le récitatif « Si,si, del gran tiranno » ou encore dans l’aria « come O Dio » où l’accompagnement musical, d’une suavité parfaite, porte l’émotion à son comble. Il en est de même avec Atalia, d’autant plus touchante dans son amour non partagé que l’interprétation de la musique de Francesco Cavalli s’avère ici particulièrement poignante.
En effet, le Concert d’Astrée apparaît en totale maîtrise de ses moyens avec une intelligence et une sensibilité dans l’interprétation qui enchante tout au long de la soirée.
La sonate pour violoncelle et basse continue d’Alessandro Scarlatti met en exergue la délicatesse que partagent Gauthier Broutin et Thomas Boysenet, comme le brio de Ludovic Coutineau.
La Sinfonia n°1 en ré mineur d’Alessandro Stradella est d’une mémorable intensité tandis que sa Sinfonia n°8 en la mineur fait la part belle aux talentueux violonistes David Plantier et Mauro Lopes Ferreira. Car Emmanuelle Haïm semble toujours soucieuse de valoriser ses artistes au point qu’elle salue derrière le clavecin pour intégrer le groupe plutôt que de se mettre en avant.
Ce superbe voyage d’Italie se poursuivra au cœur du festival avec d’autres haltes à Tourcoing, Saint-Omer, Roubaix, comme le récital d’Edwin Fardini et Sarah Ristorcelli autour de Cinq mélodies de Venise, Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi ou encore Arca Ostinata de Nino Laisné et Daniel Zapico, sans compter bien d’autres chemins de traverse à emprunter jusqu’au 12 juin.