Ariodante n’est pas l’opéra le plus joué de Georg Friedrich Haendel à l’époque contemporaine, peut-être en raison d’un rôle-titre qui écrase les autres solistes et qui réclame des moyens exceptionnels. Le concert est dominé par l’interprétation de Franco Fagioli dont on ne sait plus trop que louer en premier. Vocalises ultrarapides, fioritures incroyables et précision de l’émission. Au premier acte, son air « Con l’ali di costanza » est une véritable leçon de belcanto baroque. Le temps est ensuite suspendu pour son « Scherza infida » d’une musicalité et d’une subtilité inégalées. Sa réapparition à l’acte III est plus dramatique, trop peut-être pour ne pas affecter momentanément les moyens du chanteur. Il faut dire que les dates de la tournée sont peut-être fort rapprochées (le 3 à Barcelone, le 5 à Essen et le 7 à Paris…). On retrouve Fagioli à nouveau au sommet de son art pour un époustouflant « Dopo notte, atra e funesta » qui balaie toutes réserves. Par ailleurs, si le timbre nous a semblé un peu moins coloré que par le passé, le chanteur a encore gagné en ambitus, avec des aigus stratosphériques et des graves profonds.
Melissa Petit dispose d’une excellente technique belcantiste. La voix est agréable, mais le timbre est un peu blanc. Les airs virtuoses sont parfaitement exécutés, mais c’est surtout dans son lamento « Il mio crudel martoro » qu’elle emporte l’adhésion par la grande émotion de son chant. On pourra toutefois trouver un peu trop systématique la répétition de notes volontairement tirées ou fausses pour exprimer le désespoir.
Luciana Mancini offre une projection vaillante couplée à une vocalisation impeccable, même dans les passages les plus rapides. L’ambitus est également remarquable. Toutefois, ces spectaculaires grands écarts se font au prix d’une émission un brin hétérogène, le mezzo donnant parfois l’impression de jongler avec trois voix. Le timbre est chaud et assez personnel. La caractérisation dramatique est très réjouissante, la chanteuse prenant visiblement beaucoup de plaisir à camper ce personnage de méchant.
Dans le rôle un peu sacrifié de Dolinda, la jeune Sarah Gilford, finaliste du concours BBC Cardiff Singer of the World en 2021, offre un timbre pulpeux et un aigu rayonnant. Les vocalises sont toutefois un peu plus laborieuses. On sent ici une belle mozartienne encore en devenir.
Le Lurcanio de Nicholas Phan dispose d’une rare agilité pour un ténor de ce répertoire et il dispose d’un bel ambitus. L’émission des notes les plus aigües est toutefois un peu surprenante : la voix change alors de position, s’ouvrant davantage afin d’échapper au plafonnement que connaissent beaucoup de ténors d’école strictement mozartienne. Le chanteur dispose également d’une bonne projection.
Le jeune Alex Rosen campe un roi d’Ecosse tout à fait satisfaisant, avec des graves particulièrement profonds et impressionnants et une belle prestance : une voix à suivre.
George Petrou dirige Il Pomo d’Oro avec fougue, précision, élégance (et aussi avec quelques coupures !). Le tempo est vif, mais sans précipitation. Les chanteurs sont parfaitement accompagnés dans leurs exploits vocaux. Comme d’habitude, la phalange est impeccable. Les cordes offrent de belles sonorités. On regrettera des interventions trop rares des instruments à vent, par ailleurs excellents.