Artiste rare, Andreas Scholl a la discrétion et l’humilité de ceux qui n’ont plus rien à prouver, explorant toutes les facettes de son art avec cette constance qui le maintient dans l’excellence en dépit des années qui passent. Ultime artiste à s’être produit à Gaveau, le 12 mars 2020, avant confinement total, le contre-ténor revient dans cette même salle cette fois avec un programme dédié à Purcell porté en duo, celui formé le temps de cette soirée avec le contre-ténor Maarten Engeltjes, également ici à la direction du PRJCT Amsterdam, un jeune ensemble baroque très prometteur. Il y a dix ans, Andreas Scholl avait accompli ce voyage purcellien aux coté de Philippe Jaroussky, il réitère ici cette traversée anglaise à deux voix dans un programme qui semble parfaitement équilibré : six duos, quatre songs pour chacun des solistes, le tout ponctué de trois pièces orchestrales.
On est ici loin de certaines démonstrations de pyrotechnie vocale dont sont généralement friands les contre-ténors. L’art d’Andreas Scholl est de ne jamais perdre de vue le sens poétique sans lequel ce type de répertoire se réduirait à un pur exercice de style au service d’une démonstration de soi. Quoi de plus émouvant, justement, que la poignante pudeur adoptée, dans ces pièces musicales, par un artiste qui remet la virtuosité à sa juste place. L’interprétation est ici profondément investie plus proche du cœur que de l’hédonisme vocal. Rare est cette voix d’une élégance subtile, savant équilibre entre naturelle aisance et maîtrise technique qui nous fait souvent l’offrande d’une parenthèse en apesanteur traduisant toute la pudeur et l’intensité de l’émotion contenue du contreténor. L’artiste cultive un sens aigu du phrasé, et une musicalité exemplaire, délivrant un texte pleinement investi et surtout articulé, l’art du dire n’étant pas chez Andreas Scholl, véritable poète-chanteur, la moindre des vertus. Plus encore que par l’élégance des vocalises, on est totalement envoûté par ces sons filés, cette pureté de la ligne de chant, cette grâce tant dans la déploration « When I am Laid in Earth » que dans la force méditative de « An Evening Hymn ». Et surtout, on ne se lasse pas d’admirer la beauté du registre aigu et du timbre plus chaud et suave que celui de Maarten Engeltjes.
Alto assumé, ce dernier se situe en effet davantage dans la conviction du chant que lui assure une impeccable technique, que dans la pure séduction vocale. Chez Engeltjes l’art d’ornementer est d’abord et avant tout l’expression d’un plaisir au service de l’œuvre. A cet égard, l’interprétation est portée par une sincérité et authenticité qui force le respect. Dans « The Plaint » et « Sweeter than roses », il fait preuve d’une économie de moyens et d’une justesse admirables, sans aucun des maniérismes, une approche nous rappelant que Maarten Engeltjes est avant tout un musicien. Et il l’est incontestablement lorsqu’il abore le célébrissime « What power art thou » de King Arthur dans l’interprétation duquel il sait mixer très habilement les registres, jouer des contrastes et créer ainsi une tension qui va crescendo.
Maarten Engeltjes, Andreas Scholl © Brigitte Maroillat
Mais c’est sans nul doute dans les duos, que le tandem excelle, la complémentarité des voix relevant de la magie musicale. Dès le tête à tête introductif, « Here The Deities » on comprend d’emblée qu’entre ces deux voix les affinités sont plus qu’amicales, elles sont électives. Ce que confirmera de manière éloquente le jubilatoire « Sound The Trumpet » donné en rappel. Qu’ils confondent leur tessiture comme dans « O Dive Custos Auriacae Domus » ou qu’ils se répondent d’un solo l’autre comme dans « No, resistance is but vain », ils vont bien au-delà d’une association formelle d’un soir. Ils habitent à merveille les ondes voluptueuses de « Fairest Isle » tout comme le langoureux dialogue du « Ah heav’n ! What is’t I hear » d’un des Maîtres de Purcell, John Blow. Le plaisir d’entendre ces deux voix en duo est tel que le public en redemande et se trouve alors exhaussé, les deux artistes offrant comme ultime cadeau à l’auditoire une Scottish Song « Holy Glory » pour clore la soirée.
Le programme faisant également la part belle à la musique, l’Ensemble PRJCT Amsterdam est bien plus qu’un simple accompagnateur, il est une véritable respiration. Sous la direction de Maarten Engeltjes, l’ensemble ne cède jamais aux enthousiasmes parfois factices où se laissent entrainer plus d’un chef dans ce répertoire traitreusement flatteur. La rondeur et la souplesse des sonorités permettent de réentendre et de redécouvrir la musique de Purcell avec ce mélange caractéristique de douceur et de fermeté, de rigueur et de flexibilité, nous rappelant ainsi qu’il était l’un des plus grands mélodistes de son temps.