Pour le 120e anniversaire de sa création, Andrea Chénier fait l’objet d’un regain de productions en Europe. Rome n’avait pas donné l’ouvrage depuis vingt ans et le remet à l’affiche avec une distribution remarquable, que domine le poète incarné par Gregory Kunde, dont la voix semble avoir encore gagné en largeur. Le médium bien corsé et les aigus dardés sont d’une puissance et d’un facilité qui stupéfie l’auditoire. Comme toujours, le chant est soigné, le phrasé impeccable et l’artiste est d’une parfaite musicalité dans un rôle parfois sacrifié à l’étalage de « muscle » de la part de ténors moins raffinés. S’il n’est plus un jeune premier, le ténor américain compose néanmoins un personnage crédible et attachant grâce à une direction théâtrale soignée : encore un défi gagné par ce chanteur à la carrière protéïforme. La jeune Maria José Siri ne se situe pas aux mêmes sommets. Les moyens sont bien là, avec une voix saine et puissante, à l’aise sur toute la tessiture. Mais l’émission a quelque chose d’inhabituel, un peu en arrière ou dans les joues. Il manque au soprano uruguayen la capacité à varier la couleur, assez uniformément claire et au final un brin monotone. On attendrait aussi davantage d’attention apportée au texte, mais elle sait compenser par un jeu dramatique de qualité sans histrionisme. Roberto Frontali est un Gérard sonore, au chant naturel. Plutôt sobre dans sa composition, il réserve ses explosions dramatiques pour son affrontement de l’acte III avec Maddalena. Les nombreux seconds rôles sont excellement tenus. Entre autres, la Bersi de Natascha Petrinsky, le Mathieu de Gevorg Hakobyan ou encore le Roucher de Duccio Dal Monte disposent de voix saines et bien projetées. L’Incroyable de Luca Casalin offre une composition fine. Enfin, l’inusable Elena Zilio renouvelle ses performances viennoises et parisienne avec une Madelon émouvante. La direction de Roberto Abbado sert l’oeuvre sans esbrouffe. L’orchestre et les choeurs de l’Opéra de Rome sont impeccables.
© Ryasuko Kageyama
Le réalisateur Mario Bellocchio revendique une mise en scène respectueuse d’une œuvre qu’il chérit de toute évidence, avouant en avoir chanté les airs dans sa jeunesse. Ce qui l’intéresse ici, c’est d’offrir une certaine vérité dramatique, tout en apporant un cadre idéal aux voix. De fait, le plateau est excellemment dirigé et l’action extrêmement fluide. Les décors combinent un certain classicisme (au deuxième acte, figure dans le lointain les Tuileries, vues depuis « le pont Peronnet » mentionné dans le livret, et plus connu aujourd’hui comme celui de la Concorde) à une stylisation épurée (Chénier et Maddalena vont au supplice alors que derrière eux sont projetées des photos contemporaines). Le recours à la vidéo aurait pu être davantage exploité (il y a une très belle image d’oiseaux s’envolant dans la nuit au moment de la fête chez la Comtesse de Coigny). Au global, un spectacle sain et soigné, qui permet d’apprécier pleinement la partition.
Enfin, on saluera l’Opéra de Rome pour la qualité du programme de salle : livret complet, argument décliné en 6 langues, une douzaine de photos couleurs pleine page, un entretien avec le metteur en scène, une analyse musicale, une discographie sélective, un historique des représentations locales, richement illustré, et enfin, la reproduction d’un roman-photo où Franco Corelli personnifie Chénier, rôle où il fut inégalé à la scène !