Quand on leur offre un conte de fées, les grands enfants que nous sommes y prennent un plaisir… extrême ? Peut-être pas tout à fait, mais un plaisir bien vif tout de même. Voilà pourquoi, depuis trente-cinq ans, le festival de Glyndebourne reprend inlassablement la production du Midsummer Night’s Dream montée en 1981 par Sir Peter Hall dans l’ancien théâtre, et déjà remontée dans le nouveau en 2001 et 2006. Il faut bien reconnaître que la forêt argentée de John Bury et les costumes élisabéthains d’Elizabeth Bury (aucun lien de parenté avec l’auteur de ce compte rendu) composent un superbe livre d’images. Mais d’un autre côté, ce spectacle porte aussi son âge : d’aucuns regretteront bien sûr que les metteurs en scène d’aujourd’hui aient oublié de respecter aussi fidèlement les données d’un livret (même si la Grèce antique est ici tout à fait shakespearienne), mais d’autres estimeront peut-être qu’on peut attendre une vision plus personnelle de l’œuvre, comme certains n’ont pas manqué de le faire, de Robert Carsen à Richard Jones en passant par Alfredo Arias. Le choix même d’un enfant pour incarner Puck est symptomatique : haut comme trois pommes, David Evans est épatant, mais il reste un très jeune enfant, là où Britten lui-même avait voulu un adolescent, et où l’on a pris l’habitude de voir aussi des interprètes adultes, hommes ou femmes. Par ailleurs, si cet univers visuel renvoie à toute la Fairy painting de l’époque victorienne, Le Songe d’une nuit d’été a aussi inspiré aux artistes d’autres époques des représentations moins uniformément plaisantes, où des grotesques inquiétants évoquent le monde de la nuit. D’autant que le côté aimable et sans danger de cette production est contredit, ou compensé, par la direction acérée de Jakub Hrůša, appelé à remplacer Kazushi Ono, qui n’édulcore nullement la partition. Dès l’ouverture, le tempo rapide adopté par le chef nous éloigne de toute référence au sommeil pour créer un climat de tension qui s’exacerbe et s’apaise à la fois avec le grand quatuor des amants au dernier acte. Avec l’aide du London Philharmonic Orchestra, l’audace de certains passages orchestraux est particulièrement mise en valeur, comme le somptueux réveil de Tytania, ou l’accompagnement très japonisant monologue du Mur au dernier acte.
© Robert Workman
La distribution réunit de fort belles voix, et l’on regrettera seulement que la discrétion de la direction d’acteur ne permette pas forcément aux individualités de s’exprimer. Dans le couple féerique, Kathleen Kim impose une voix sonore à la virtuosité irréprochable, là où Tim Mead, malgré de beaux aigus, a plus de mal à exister par-delà l’extraordinaire silhouette que lui confèrent perruque et costume. Dans les couples d’amants, Elizabeth DeShong renouvelle la brillante prestation qu’elle avait déjà pu donner à Aix-en-Provence l’été dernier, avec une densité toujours aussi confondante dans les graves, et un art réel de l’autodérision dans son personnage, tandis que Kate Royal, retrouvant un rôle qu’elle tenait déjà lors de la reprise de 2006, renoue également avec un emploi peut-être plus conforme à ses possibilités que la Maréchale tentée ici-même il y a deux ans. Peu de choses dans la mise en scène différenciant Lysandre de Démétrius, l’ardeur naturelle de Duncan Rock et la délicatesse de phrasé de Benjamin Hulett tiennent heureusement lieu de caractérisation. Matthew Rose était déjà Bottom en 2006, un Bottom ayant tous les graves du rôle, ce qui n’est pas si souvent le cas, mais le personnage, uniquement gentil, est comme émasculé par la production. Anthony Gregory est un Flute/Thisbé satisfaisant, mais on est plus impressionné par le Mur éloquent de Colin Judson, sans oublier le Lion délicieusement niais de Sion Goronwy. Si Claudia Huckle est une Hippolyta sans rien de bien remarquable, Michael Sumuel propose en revanche un Thésée d’une richesse vocale impressionnante. Quant aux jeunes garçons du Trinity Boys Choir, ils sont souverains dans ce répertoire, et l’on se réjouit bien sûr de retrouver dans le rôle d’un des quatre esprits servant Tytania, le petit Jérémie de Rijk déjà présent à Aix en 2015.