Au lever du rideau, on découvre un décor vallonné, aux formes vaguement organiques. Certains espaces se soulèvent et retombent, mouvement qui souligne avec humour le rythme de ronflement de l’ouverture évoquant la forêt. Bientôt quelques drapés disparaissent, et l’on comprend qu’on se trouve face au corps tronqué d’une géante allongée, « femme 100 têtes » surréaliste, dont la couleur bleutée évoque irrésistiblement les Schtroumpfs. Au fond, les deux mamelons sont les seins ; cette cavité, au centre, c’est bien sûr le nombril ; quant à cette ouverture en amande fermée par des rabats, au premier plan, c’est une autre partie plus intime encore. Le décor d’Ezio Toffolutti met l’accent sur la quête érotique des personnages du Songe d’une nuit d’été, tandis que ses costumes – les maquettes, du moins – sont en forme de tests de Rorschach, comme jadis ceux de la Turandot montée à Paris par Margherita Wallmann. Le sommeil de la raison produit des monstres : les esprits en habit élisabéthain qui peuplent la forêt sont tous blafards et chauves, escortés par huit hommes-buissons. Interprété par Anna Thalbach, Puck est une sorte de Nosferatu virevoltant, vêtu d’un tutu à bretelles, et dont la voix éraillée évoque plus une Lotte Lenya sur le retour que l’adolescent voulu par Britten. Les humains, eux, vivent dans les années 1920 (chevelures crantées pour les dames, canotier et chaussures bicolores pour les messieurs). Dans sa mise en scène, Katharina Thalbach n’exploite vraiment ce cadre qu’au moment où Tytania s’éprend de Bottom : la reine des fées découvre avec émerveillement les attributs de l’artisan changé en âne, avec qui elle se glisse dans la fente à rabats pour une saillie vite interrompue par le sommeil de l’âne-étalon. Au dernier tableau, le corps de la géante devenu totalement superflu est masqué par un mur doré devant lequel sera jouée la joyeuse tragédie de Pyrame et Thisbé. Il y a de beaux moments dans ce spectacle, comme l’ultime scène réunissant Oberon, Tytania et tous les esprits, mais il manque malgré tout cette étincelle qui le graverait dans les mémoires, malgré l’enthousiasme avec lequel il est ovationné par le public.
© GTG / Carole Parodi
Les deux couples d’amoureux auraient peut-être pu bénéficier d’une caractérisation un peu plus approfondie. Rien ne les distingue vraiment dans leur jeu, sauf peut-être Demetrius, aux mimiques parfois ouvertement ridicules. Mary Feminear est une Helena sans personnalité très affirmée, mais Stephanie Lauricella frappe par sa belle aisance dans le grave (sa haute taille va néanmoins à l’encontre du texte shakespearien, où le personnage est traité de « naine » par sa rivale). Face à ces artistes encore à l’aube de leur carrière, leurs galants font figure de vétérans : Shawn Mathey est un peu tendu dans l’aigu, et Stephan Genz manque un peu d’éclat. Bernarda Bobro est une Tytania très légère et le contre-ténor américain Christopher Lowrey possède un joli timbre, mais ni l’un ni l’autre ne possède l’autorité qu’on associe au roi et à la reine des fées. Remarqué la saison dernière en Sobakine dans La Fiancée du tsar en concert à Paris, Alexeï Tikhomirov est un Bottom dynamique mais au grave assez peu sonore. Habitué des rôles de caractère, Stuart Patterson est un Flute moins juvénile mais tout aussi comique que le personnage l’est d’ordinaire. Du reste de la distribution, on détachera l’Hippolyta somptueuse de Dana Beth Miller, qui s’impose en quelques répliques. Faute de chœur exclusivement composé de jeunes garçons, les esprits de la forêt sont mixtes, jusqu’aux quatre fées solistes : très belle prestation de la Maîtrise du Conservatoire populaire de musique de Genève. Dirigé par un Steven Sloane très attentif au détail, l’Orchestre de la Suisse romande observe une certaine circonspection, peut-être pour éviter de couvrir les voix, dans cette œuvre conçue pour un théâtre de trois cents places. Signe que ce Midsummer Night’s Dream quinquagénaire est désormais bien inscrit au répertoire, après le retour de la production Carsen l’été dernier à Aix-en-Provence, on le verra bientôt à Metz, et l’été prochain à Glyndebourne.