Le plus complet, le plus prestigieux des concours de direction, dont c’est la 56e édition, attire toujours davantage de candidats. 270, de 40 nationalités, ont été auditionnés en présélection entre Berlin, Pékin, Montréal et Besançon. Au deuxième tour, seuls onze d’entre eux restent en lice, dirigeant et faisant travailler la deuxième symphonie de Beethoven et le second concerto pour violon de Prokofiev (avec le talentueux Nicolas Dautricourt). Durant 25 minutes chacun, à la tête d’un Orchestre Victor Hugo de Franche-Comté exemplaire d’attention et de disponibilité, les candidats ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour convaincre les sept membres du jury, présidé par Yan Pascal Tortelier. C’est le propre du concours de réserver son lot de surprises. Pour d’obscures raisons, tel candidat n’aura pas dépassé le second tour, alors que ses qualités semblaient l’imposer comme finaliste. Ainsi, Hongjun Chen, fin musicien, d’une technique éprouvée, efficace, avec un sens dramatique qui lui vaut l’adhésion des interprètes… Chinois, benjamin (22 ans), aussi. Beaucoup de grands chefs n’ont jamais concouru, ou obtenu de récompenses, sans que leur carrière en souffre. C’est ce que nous lui souhaitons, car il en a les moyens.
La demi-finale, ce mercredi 18 septembre, se déroule en deux temps. Le Chœur de l’Opéra de Dijon a été retenu pour le Stabat mater de Francis Poulenc (épreuve « oratorio »), avec l’Orchestre Symphonique de la Radio de Sarrebrück-Kaiserslautern, et des solistes de l’Ecole Normale de Musique de Paris pour des extraits de Cosi fan tutte (épreuve « opéra »). Ainsi le tour complet des compétences, dans des répertoires symphonique, lyrique, ou choral – du déchiffrage au concert – aura-t-il été effectué avant la finale, réservée aux trois élus. Les épreuves d’oratorio et d’opéra, essentielles, confirmeraient, si besoin était, combien sont rares les chefs, familiers du symphonique, dont les compétences lyriques et de direction de chœur sont avérées. Comment ces jeunes (de 22 à 35 ans) allaient-ils se comporter dans ces répertoires si spécifiques ? Plusieurs candidats, et pas seulement ceux n’ayant pas capacité de s’exprimer en français, avaient déjà usé d’exemples chantés démonstratifs pour obtenir tel phrasé, telle articulation d’un instrument ou d’un pupitre, l’exemple s’avérant beaucoup plus efficace qu’un long discours. Du splendide Stabat mater de Francis Poulenc, le jury a judicieusement retenu cinq parties (les deux premières, le n°4, Quae moerebat, le n°7, Eja mater et, enfin, l’extraordinaire n°12, Quando corpus). Ce dernier, couronnement de l’œuvre, qui fait se succéder les passages a cappella, du pp au ff, à ceux où l’orchestre donne toute sa mesure, aurait mérité d’être proposé en premier. Sans entrer dans les détails propres à chaque pièce, la plus large palette de compétences, d’engagement pour des approches et un travail efficace nous aura été offerte. Du second acte de Cosi fan tutte, le choix s’est porté sur plusieurs numéros (du n°30 à la fin), où les changements de tempo, d’expression dramatique sont l’occasion pour chacun de montrer son savoir- faire. On regrette seulement que les (brèves) parties chorales en aient été expurgées, alors que les chanteurs du Stabat étaient disponibles.
Les solistes, six chanteurs d’origine étrangère, forment une distribution cohérente. C’est du reste dans les ensembles qu’ils donneront le meilleur d’eux-mêmes. Ils connaissent parfaitement leur rôle et se prêtent avec le sourire à toutes les intentions des chefs en compétition. Dongnam Hwang, d’une stature imposante, compose un Don Alfonso crédible, voix solide et souple et bien articulée. Despina (Mao Nishizawa) est piquante comme il se doit et sa voix contrefaite ne rate pas son effet comique. Fiordiligi (Kumi Sakamoto) et Dorabella (Seungeun Oh) forment un beau duo. Quant à Ferrando (Yanis Benabdallah) et Guglielmo (Sen Ren) ils ne sont pas en reste, même si les émissions ne sont pas des plus gratifiantes.
les finalistes © Yves Petit
La pluralité de regards du jury, indéniable, est privée de celui d’un spécialiste de la voix, chanteur, chef de chœur ou chef de chant. Peut-être faut-il y voir la raison de l’élimination de Yu Sugimoto, qui s’est particulièrement approprié chacune des œuvres, dont il connaît toutes les parties, vocales comme instrumentales, capable de donner les exemples les plus justes, et d’obtenir le meilleur de chaque interprète, pour une des plus passionnantes interventions. On tenait là un authentique chef lyrique. Impossible de taire une certaine amertume, doublée d’un sentiment d’injustice. A ce stade de la compétition, s’il ne peut y avoir de candidat médiocre, deux des trois finalistes nous ont laissé circonspect, vous l’aurez compris : appliqués, sans âme, n’ayant pas vraiment compris l’esprit de Poulenc, ni le sourire amer de Mozart, aux explications verbales chronophages et dépourvues d’efficacité réelle, à la gestique amidonnée. Des nombreux concours auxquels il m’a été donné de participer à tel ou tel titre, ou d’assister, il m’est arrivé rarement d’éprouver un tel malaise.
Les trois élus appelés à disputer la finale sont : Victor Jacob, l’enfant du pays, la Japonaise Nodoka Okisawa et Haoran Li, le plus prometteur à ce stade de la compétition. Une création – Constellations – d’Eric Tanguy, membre du jury, et Tod und Verklärung, de Richard Strauss permettront de départager ces trois candidats.