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Ekaterina Gubanova : « Un chanteur intelligent apprend toujours ! »

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Actualité
18 mars 2018
Ekaterina Gubanova : « Un chanteur intelligent apprend toujours ! »

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En 2005, le public de l’Opéra Bastille découvrait une Brangäne de 26 ans, d’une glorieuse jeunesse vocale, d’une incroyable maturité technique. Depuis, Ekaterina Gubanova a tenu toutes ses promesses, incarné les grands rôles de mezzo verdiens et wagnériens sur les plus grandes scènes du monde, et inscrit son nom aux côtés des plus illustres chanteurs russes de notre époque. Elle a aussi osé, pour Krzsysztof Warlikowski, une Judith vamp et inquiétante dans le Château de Barbe-Bleue, qu’elle reprend ces jours-ci au Palais Garnier


Vous reprenez Le Château de Barbe-Bleue au Palais Garnier, une production de Krzysztof Warlikowski qui a été créée en novembre 2015. Vous faisiez déjà partie de la distribution d’origine. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Il y a quelques légers changements introduits par le metteur en scène dans les déplacements mais qui restent plutôt marginaux. Ce qui change pour moi, c’est que je me sens plus à l’aise avec cette partition. Il y a deux ans et demi, je chantais Judith pour la deuxième fois seulement. Aujourd’hui je suis beaucoup plus confiante, avec le texte comme avec la partition, qui m’effrayaient beaucoup auparavant ! Apprendre un rôle en hongrois n’a rien d’évident en soi, et j’ai eu besoin de prendre un professeur de hongrois qui m’a expliqué la grammaire, le vocabulaire. Ainsi j’ai préparé le rôle en commençant d’abord à lire le texte, à le dire avant de le chanter. Par rapport à 2015, nous avons aussi un nouveau chef d’orchestre, mais je ne vois pas beaucoup de différence dans les tempi ; c’est grâce à Bartok, qui a mis dans sa partition des indications extrêmement précises, quasiment à chaque mesure.

Warlikowski dans Don Carlos puis dans Barbe-Bleue, en même temps que Tcherniakov pour lequel vous êtes Brangäne à Berlin : depuis quelques mois vous cumulez les apparitions dans des spectacles ouvertement modernes, parfois provocateurs… 

Oui et je les adore ! Il n’y a aucune généralité, aucune facilité  dans ces mises en scène : chaque mot compte, chaque action est pensée si profondément tout en créant une énergie totalement spontanée. Cela m’apprend énormément. Dans Tristan, Tcherniakov m’a donné beaucoup d’outils, beaucoup de clefs de compréhensions, ça n’a pas de prix !

Les dernières représentations de Tristan à Berlin sont très rapprochées des premières dates de Barbe-Bleue à Paris : comment vous  préparez-vous pour changer si rapidement d’univers scénique et musical ? 

J’ai encore chanté à Berlin dimanche dernier, et j’y retourne dimanche prochain, pour la dernière, c’est-à-dire le lendemain de la première de Barbe-Bleue ici : je vais devoir sauter dans un avion dimanche matin et me préparer pour cette représentation, qui en plus sera filmée… ce sera un week-end assez stressant ! Au cours des dernières semaines, j’ai déjà multiplié les allers-retours entre Paris et Berlin pour assurer à la fois les répétitions de Barbe-Bleue et les représentations de Tristan. A chaque fois, ce n’est pas la fatigue physique qui m’inquiète, mais juste plutôt une forme de fatigue psychologique : les contextes sont très exigeants à chaque fois, et je m’arrange pour retrouver mes marques très rapidement. 

Vous avez commencé vos études musicales par le piano et la direction de choeurs ; pourquoi vous êtes-vous finalement tournée vers le chant ? 

C’est venu de manière très prosaïque et très simple, en fait. Je devais avoir un peu plus de 17 ans, et ma voix s’est révélée. Comme c’est un processus très physique, lié pour partie à la croissance, au passage vers l’âge adulte, la question de devenir chanteuse est apparue à ce moment-là alors que je n’y pensais pas auparavant. J’ai été voir des professeurs, des médecins pour en discuter. Mais me consacrer au chant plutôt qu’au piano ou à la direction de chœurs était une grave décision à prendre : j’étais en train de préparer mes diplômes, je travaillais dans cette optique depuis des années, et là je m’apprêtais à emprunter une voie à laquelle je n’avais jamais songé, c’était une étape folle à franchir ! Mais finalement j’ai pris le risque. Aujourd’hui, mes années d’apprentissage me servent tous les jours. D’abord je fais beaucoup d’économies car je peux m’accompagner moi-même au piano quand je travaille : généralement je n’engage un répétiteur que pour les toutes dernières séances de préparation, ou pour des œuvres particulièrement complexes, de Wagner par exemple. Et je comprends mieux aussi la gestuelle des chefs d’orchestre, leurs indications, ainsi que les problèmes auxquels ils peuvent être confrontés.

Votre éducation à commencé en Russie avant de vous mener à Londres : comment expliquez-vous l’importance que prennent beaucoup de chanteurs russes sur les scènes d’opéra du monde entier, et dans des répertoires variés ? 

Tout d’abord il me semble que les russes chantent énormément : chez eux, en famille, lors de fêtes, de messes… Et puis je pense que ça a également un rapport avec la voix parlée, le placement de la voix, les types de morphologie générées par les pratiques linguistiques : cela fait que certains pays semblent être des terres de chanteurs, et d’autres moins. Juste après la Russie, et avant de partir pour Londres, je suis d’abord passée par Helsinki. Mais Londres a effectivement été une comme une énorme révolution pour moi. J’étais dans une grande maison, j’ai côtoyé les plus grandes stars, j’ai pu les observer travailler, répéter. Et j’ai rapidement chanté là-bas mes premiers rôles, notamment Flora dans La Traviata en 2003.

 Y-a-t-il des chanteurs que vous admiriez particulièrement lors de vos années de formation ?

Je me souviens d’un Pagliacci inoubliable, avec Domingo, Hvorostovsky et Gheorghiu. C’était irréel ! Et d’ailleurs Le Château de Barbe-Bleue est le premier opéra que j’ai vu à Londres. Avec Katarina Dalayman et Willard White : une perfection ! Et puis, Christa Ludwig a toujours été une sorte de modèle pour moi. Il est vrai que nous avons plusieurs rôles en commun, et peut-être des tessitures assez proches, de mezzo-soprano avec des aigus faciles. Donc ses choix artistiques, sa manière de travailler, sont très inspirants pour moi. 

Aujourd’hui comment voyez-vous cette voix de mezzo aiguë et son évolution autour d’un coeur de répertoire où Verdi et Wagner sont très présents ?

C’est d’abord à ces rôles-là, qui demandent de la puissance et des aigus, que ma voix convient le mieux. Et bien sûr ce sont des rôles passionnants à chanter, donc je ne me plains pas (rires) ! Judith est comme ça, avec ce contre-ut si soudain, dont on se demande d’où il sort ! C’est un peu une transition entre la voix de mezzo et celle de soprano. Jusqu’où aller dans la frontière entre ces deux tessitures ? Isolde est un rôle merveilleux, mais il faut aussi rester réaliste sur la nature profonde de sa voix.  Endosser un tel rôle, c’est une décision si difficile à prendre ; séparément, en concert, on peut en chanter des extraits. J’ai chanté la Liebestod une fois en concert quand j’étais un bébé, peut-être en 2008. Mais soutenir tout le voyage à travers ces trois longs actes, en une seule soirée, c’est quelque chose de très exigeant, à la fois physiquement et psychologiquement, avec ce drame brûlant, cette tension permanente. Certaines chanteuses arrivent à passer de Brangäne à Isolde, comme Waltraud Meier ; si jamais je chantais Isolde un jour, j’essaierais de le faire comme Waltraud ; elle a été très intelligente, très précise dans sa manière d’intégrer ce rôle à sa voix. Sur scène, j’ai souvent été sa Brangäne, et c’est presque comme si je pouvais voir dans ses yeux comment son cerveau était en activité permanente pour trouver la bonne intonation. Des représentations avec elle ou avec Nina Stemme sont toujours une leçon.

Mais d’autres rôles de soprano me semblent accessibles et m’intéressent beaucoup. En particulier celui d’Ariane. Celui de Sieglinde aussi. Il ne s’agirait pas, en tout état de cause, de me « transformer » en soprano, mais il s’agirait d’excursions que je pourrais me permettre de temps en temps… Je crois qu’une personne intelligente apprend toujours, notamment avec une voix qui évolue constamment. Eboli par exemple est un rôle que j’ai chanté pour la première fois en 2007, et à cette époque l’enjeu pour moi était de survivre, de tenir la barre techniquement et d’arriver au « Don fatale » avec une voix encore fraîche. Ce n’est qu’après avoir maîtrisé la technique que j’ai pu explorer davantage la psychologie du personnage. C’est après m’être libérée de la technique que je peux approfondir d’autres dimensions, et c’est un voyage sans fin.

Paris, Palais Garnier, le 16 mars 2018

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