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Ma Carmen adorée

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Edito
19 janvier 2018
Ma Carmen adorée

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Allons, il faut bien rigoler un peu et les derniers avatars de Carmen à l’Opéra de Florence nous ont été contés dans ces colonnes avec son talent habituel par Jean Michel Pennetier. Emporté par une ardeur féministe réjouissante,  un troupeau de Trissotin et de Diafoirus a imaginé lutter avec efficacité contre les violences faites aux femmes en changeant la destinée de la belle cigarière. C’est elle qui truciderait un Don José érigé en précurseur andalou d’Harvey Weinstein. Tout un joli monde s’est donc rassemblé pour venger les femmes outragées, harcelées, violées, assassinées : le directeur de l’opéra, le metteur en scène, le maire de Florence et pour faire bon poids, une vice-présidente du sénat italien  qui déclara sans rire qu’il fallait faire de Carmen la voix de toutes les femmes qui réclament le respect de la dignité et de l’inviolabilité de la personne humaine. Le ridicule ne tuant décidément pas, le soir de la première, le mécanisme du pistolet s’enraya, la détonation ne partit point et, tel le canard de Robert Lamoureux, le pauvre ténor s’affala « blessé seulement ».

Cette affaire où la consternation se dispute à l’hilarité pose deux questions, l’une subalterne et l’autre plus fondamentale.

Au rang des interrogations subalternes, on se demande comment des personnes apparemment sensées ont pu proposer comme parangon de la femme victime la plus belle « salope » du répertoire, violente, manipulatrice, vénale, dépourvue de tout sens moral et n’obéissant qu’à son bon plaisir. Dans Carmen, c’est l’homme qui est la proie et  sombre dans la folie, poussé au meurtre par les provocations d’une dominatrice qui jouit de son pouvoir sur le pantin qu’elle a totalement désarticulé psychologiquement. Si une association se levait un jour pour lutter contre les violences faites aux hommes – si, si, on m’a dit que cela existe –, je propose qu’on le baptise « Collectif Don José » ! Par ailleurs, imaginer que la réponse aux violences faites aux femmes serait de répondre par les mêmes crimes infligés aux hommes relève de l’orgasme douteux de la vengeance à moins que ce ne soit du grotesque de la sottise. Je ne sais pourquoi, ma préférence va plutôt à la seconde hypothèse, les mânes de Simone de Beauvoir et de Virginia Woolf trancheront.

Plus sérieusement, cette affaire remet sur l’établi la polémique sur le droit que se sont octroyés les metteurs en scène de revisiter les opéras et d’en changer parfois de fond en comble les attendus et les personnages. Le talentueux Dmitri Tcherniakov, par exemple, s’en est fait une spécialité avec au Festival d’Aix l’été dernier une Carmen se relevant gaillardement de coups d’un couteau qui n’était qu’un accessoire de scène ; à Berlin un Gurnemanz qui poignarde Kundry pour l’empêcher de poursuivre une étreinte passionnée avec Amfortas ; ou un Don Giovanni, toujours à Aix, dans lequel Zerline est la fille d’Anna et Leporello un ami de passage, par ailleurs parent du commandeur. Kusej nous plante L’Enlèvement au sérail au cœur du djihad, Warlikowski fait se suicider Carlos et  Eboli devient bisexuelle, etc. J’arrête là une énumération par trop interminable. Deux écoles s’affrontent alors. Ceux qui souhaitent un respect scrupuleux du contexte au motif que le metteur en scène n’est qu’un locataire et non un propriétaire et reprennent la phrase fameuse que Stravinski lança à un chef d’orchestre qui voulait changer ses tempi : Ici, mon cher, vous n’êtes pas chez vous. La station spatiale de Claus Guth, les escargots copulateurs d’Alvis Hermanis, les crocodiles de Frank Castorf font alors se lever les sifflets et les lazzis des puristes et des traditionnalistes. Et puis ceux et celles – dont je suis – amateurs de sensations fortes qui s’ennuient à périr dans les dorures de Zeffirelli et sont comme des drogués à la recherche d’émotions nouvelles et de visions dérangeantes qui leur ouvrent les portes d’une autre lecture. Ce sont des hommes comme Michael Haneke qui font dépasser un Don Giovanni simplement libertin et libertaire pour lui donner sa dimension princeps de sérial violeur et ainsi apportent plus au combat féministe que les précieuses ridicules de Florence.

A bien y regarder, c’est la postérité qui juge in fine si le metteur en scène s’est à juste titre arrogé le droit de transposer. Il n’a pas fallu longtemps pour que d’interminables ovations succèdent aux  huées et aux manifestations qui avaient accompagné la Tétralogie de Patrice Chéreau en 1976 à Bayreuth. Alexandre Dumas avait dit : « on peut violer l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants ». Je demande pardon de cette citation aux militantes de #balancetonporc mais on peut sans doute violenter les livrets d’opéra à condition d’avoir du génie. C’est ce qui doit manquer en l’occurrence à Leo Muscato, le metteur en scène de Carmen à Florence, dans cette pantalonnade qui n’a jamais si bien mérité son nom.

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