Devant l’afflux de demandes pour ce Don Carlos exceptionnel, l’Opéra national de Paris a choisi de reporter notre accréditation à la troisième représentation, lundi 16 octobre. Qu’ajouter dans ces conditions au torrent de louanges qui a entouré cette production ?
Oui, on en rêvait sur le papier, l’opéra l’a fait : réunir un plateau d’excellence, équilibré et harmonieux, avec pour chaque personnage l’un des deux ou trois plus grands interprètes aujourd’hui du rôle. Oui Elina Garança a livré une prestation époustouflante, transcendant le personnage d’Eboli vocalement et dramatiquement, et ce, à plusieurs reprises : vocalement en parant la chanson du voile au 2e acte de multiples effets et dramatiquement dans le 4e avec un « Don Fatal » dardé d’aigus percutants. Oui, Ludovic Tézier est au sommet de son art : son interprétation de la mort de Rodrigue chantée avec force et legato fut saluée par l’une des ovations les plus retentissantes de la soirée. Oui, Ildar Abdrazakov est un Philippe II majestueux dont le défaut d’autorité participe à la caractérisation. Oui, Jonas Kaufmann, gagnant en confiance représentation après représentation, campe un Don Carlos puissant, ténébreux, habité et remplissant complètement la salle de Bastille (contrairement à ce qu’on a pu lire parfois). Oui, la reine Yoncheva complète parfaitement cette distribution en nous offrant d’une voix ample et pure une Elisabeth proche de Tatiana, émouvante et intense dans les duos, notamment lors de la scène d’adieu avec Don Carlos.
© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Restent la direction d’orchestre de Philippe Jordan, sans relief, plate et sans âme en première partie, heureusement plus animée, inspirée et colorée à partir de l’autodafé, et la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, sévèrement huée lors des représentations précédentes. Avant de la condamner sans appel, il convient de répondre à quelques questions. Est-ce ce qu’aurait souhaité Verdi ? Probablement pas. Est-on en droit d’attendre de l’Opéra de Paris des mises en scène en accord avec le livret et la volonté du compositeur ? Très certainement. Est-ce que cette proposition fonctionne néanmoins ? Force est de reconnaître que oui. Si le décor unique nécessite de rappeler le lieu de l’action au début de chaque tableau, si les projections vidéos, parfois envahissantes au point de détourner l’attention de la scène, paraphrasent plus la musique qu’elles n’apportent un nouvel éclairage sur le drame, l’approche de Warlikowski in fine ne détruit pas l’oeuvre. Chargée de références cinématographiques et soutenue par le choix de costumes luxueux, elle reste globalement assez lisible, sans contresens majeur. Trop sage presque. Méritait-elle alors huées et bronca ? Aucunement.
Enfin – peu l’ont fait – il faut souligner la qualité des artistes du chœur et des seconds rôles ainsi que la puissance vocale et l’engagement scénique de Dmitri Belosselskiy, Grand Inquisiteur terrifiant qui transforme le quintet en sextet gagnant.