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Dix opéras crypto-gay

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Humeur
22 juin 2017
Dix opéras crypto-gay

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Depuis presque un demi-siècle, lesbiennes, gays, trans et leurs amis défilent aux alentours du mois de juin dans les villes du monde entier pour revendiquer leur droit à la différence. A l’occasion de la marche parisienne des fiertés, le 24 juin prochain, dix opéras du répertoire font leur « coming out ».


Francesco Cavalli, La Calisto (1651)

L’amour exemplaire d’Orphée, la passion d’Apollon pour Daphné… Ces sujets (plus ou moins) édifiants n’allaient pas éternellement suffire à inspirer les librettistes d’opéra, et l’on se tourna bientôt vers d’autres mythes, par exemple la métamorphose en ours de la nymphe Calisto, victime de la jalousie de Junon. En l’occurrence, ladite nymphe avait succombé aux charmes de Diane. Amours saphiques ? Pas vraiment, puisque cette Diane-là était en fait Jupiter déguisé, dont Calisto avait d’abord repoussé les avances lorsqu’il s’était présenté sous son aspect habituel. Mais qu’en est-il lorsqu’Endymion dit son amour à Jupiter déguisé en Diane ? Nul doute que le public devait faire son miel de ces situations d’autant plus ambiguës que le rôle de Jupiter changé en Diane était interprété par la chanteuse titulaire du rôle de Diane, et non par un homme au déguisement plus ou moins risible. [Laurent Bury]

Georg Friedrich Haendel, Deidamia (1741)

Pour son ultime opéra, Haendel s’appuya sur un livret évoquant le travestissement d’Achille, caché parmi les filles du roi Lycomède afin de lui éviter la mort durant la guerre de Troie. Si la belle Déidamie n’est pas dupe de son déguisement, Ulysse venu à la recherche du héros ne l’est guère plus, mais il feint de croire que la prétendue Pyrrha est bien une femme et lui déclare son tendre penchant pour « elle ». Achille s’en amuse, d’autant plus que cela suscite la jalousie de sa belle. Peu après, les soupçons d’Ulysse sont bien confirmés : Achille ne s’intéresse pas non plus à l’amour que prétend lui porter Phoenix, donc il doit bien s’agir d’un homme. Comme le rôle d’Achille était, à la création, tenu par une femme déguisée en garçon déguisé en fille, on en arrivait sans doute à un degré de confusion des sentiments digne du Comme il vous plaira de Shakespeare. [Laurent Bury]

Wolfgang Amadeus Mozart, Apollo et Hyacinthus (1767)

Quelle étrange idée que de s’emparer d’une des pages les plus explicitement homosexuelles de la mythologie grecque pour en retirer tout le côté scabreux… C’est pourtant ce que fit Rufinius Widl, professeur de philosophie à l’université de Salzbourg. Dans ces trois actes en latin, conçus comme intermède pour une tragédie, l’amour d’Apollon pour le beau Hyacinthe est dilué dans une intrigue bien plus conventionnelle tournant autour de la séduisante Melia, dont ces messieurs s’éprennent tous, d’où la jalousie de Zéphyr qui provoque la mort de Hyacinthe. Malgré cette émasculation du mythe, le fait que tous les rôles aient été interprétés par de jeunes garçons âgés de 12 à 22 ans devait rendre cette histoire bien ambiguë. [Laurent Bury]

Vincenzo Bellini, Norma (1831)

Certains opéras sont au premier abord sans équivoque. Et pourtant… Prenez Norma : un homme délaisse sa maîtresse pour une autre, plus jeune. Le démon de midi, rien que de très banalement hétérosexuel. Vraiment ? Et si la jalousie de Norma n’était pas dirigée contre sa rivale mais contre Pollione, coupable de lui ravir l’objet de son affection secrète : Adalgisa ! Absurde ? Peut-être, mais y-a-t-il meilleure explication de l’abandon amoureux avec lequel les deux femmes entrelacent leur voix dans le duo du 2e acte, le fameux « Mira, O Norma » ? [Christophe Rizoud]

Giuseppe Verdi, Don Carlos (1867)

Drôle de personnalité que Rodrigo, marquis de Posa, auquel on ne connaît aucun flirt féminin, durant les cinq actes que dure Don Carlos. Idéaliste, sincèrement épris de liberté, ami fidèle et altruiste au point d’offrir sa vie à la cause qu’il défend et à celui qu’il aime « comme un frère ». Assurément mais reconnaissons que ses déclarations à Don Carlos si elles étaient adressées à une femme ne laisseraient pas de doute sur leurs intentions amoureuses : « nous mourrons en nous aimant », « soyons unis pour la vie et la mort », « tu souffres, à mes yeux  l’univers n’est plus rien », etc. Les didascalies – et la musique –, lors de leur première rencontre, en présence du frère lai, au couvent de Saint-Just, sont encore plus explicites. Don Carlos, « prêt à se jeter dans les bras » de Rodrigue est arrêté par ce dernier dans son élan et prié « d’un geste » de lui répondre « froidement ». C’est que dans une cour d’Espagne corsetée par la règle, il est impératif de sauver les apparences pour ne pas finir, accusé de sodomie, sur le bûcher de l’inquisition. Une fois le moine sorti, les deux hommes peuvent laisser parler leur cœur et leur corps : « Mon Rodrigue, c’est toi dans mes bras que je presse » ; « Mon Carlos, Ah ! Mon cher prince ». CDFD. [Christophe Rizoud]

Emmanuel Chabrier, L’Etoile (1877)

Chabrier comptait Verlaine parmi ses amis. Le goût du poète pour les jeunes hommes n’est un secret pour personne, et Verlaine se permit même de faire l’éloge de la pénétration anale dans le livret qu’il rédigea pour l’opérette Fisch-Ton-Kan, chinoiserie préfigurant L’Etoile, où l’on trouvait déjà les fameux couples du Pal. A cette différence près que ce qui deviendrait plus tard « de tous les supplices le moins rempli de délices » était alors présenté comme « le plus rempli de délices » : en s’asseyant dans ce fauteuil à l’aspect ordinaire, il suffit de tourner la manivelle, pour que paraisse « une tige fort belle » et l’on peut ensuite « faire monter la chose d’un centimètre, ou dix ou vingt, c’est une question de dose »… [Laurent Bury]

Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Eugène Onéguine (1879)

Indépendamment des mœurs de Piotr Ilyitch Tchaïkovski – dont la légende dit qu’elles furent la cause de son décès –,  de nombreux commentateurs s’accordent à trouver ambiguë la relation entre Eugène Onéguine, dans l’opéra du même nom, et son ami Lenski. L’attirance qu’éprouverait le premier pour le second aide à comprendre pourquoi Onéguine rejette les avances de Tatiana au premier acte, puis au deuxième, courtise effrontément Olga, la fiancée de Lenski. Jalousie et peur des commérages : tout devient évident. Telle est en tout cas l’hypothèse crûment choisie par Krzysztof Warlikowski dans sa mise en scène de l’œuvre en 2007 à Munich. [Christophe Rizoud]

Richard Strauss, Der Rosenkavalier (1912)

Oublions le temps qui passe, thème principal du Chevalier à la rose, pour se pencher sur la confusion des sexes régnant dans le cinquième ouvrage lyrique de Richard Strauss. Qu’un jeune homme, chanté par une femme – Octavian –, soit l’amant de Marie-Thérèse et le fiancé de Sophie. Passe encore. L’opéra baroque nous a habitués au mélange des genres. Mais que ce jeune officier se travestisse pour dindonner un homme – le Baron Ochs –, voilà qui ajoute du piment à l’histoire. D’autant que ce dernier est peut-être moins dupe qu’il n’y paraît de la situation, si l’on songe, dans ce monde viennois d’hier, au plus jeune frère de l’empereur François Joseph, l’archiduc Louis-Victor, contraint à l’exil après avoir été surpris en posture délicate dans un sauna gay. [Christophe Rizoud]

Arthur Honegger, Les Aventures du roi Pausole (1930)

Tirer une opérette d’un roman fort grivois de Pierre Louÿs, pourquoi pas : ce serait l’occasion de force gauloiseries comme le public les aimait. Outre les prévisibles coucheries, il y aurait aussi un rôle de travesti. Pas un rôle travesti, comme il y en avait déjà tant eu à l’opéra, ni un personnage qui prend les habits d’un autre sexe pour passer incognito. Non, le rôle d’une femme qui choisit délibérément de s’habiller en homme, et qui prend son plaisir de préférence avec les dames, mais sans nécessairement exclure le sexe opposé, selon son humeur. De l’aveu même de Mirabelle, le travesti, « c’est un système assez malin, et qui permet à ceux qui aiment le féminin d’aimer quand même le masculin ». [Laurent Bury]

Benjamin Britten, Billy Budd (1951)

Avec Billy Budd, on abandonne les non-dits et les interprétations qui en découlent pour avancer à découvert sur le chemin des certitudes. L’homosexualité de John Claggard était déjà flagrante dans la nouvelle de Melville. Elle est l’est encore davantage dans l’opéra de Benjamin Britten. La seule question reste de savoir si, face à ce monstre de noirceur, les motivations de Vere sont humaines ou amoureuses. Pourquoi le capitaine de L’Indomptable refuse-t-il de condamner le beau Billy puis se résigne, silencieux, à accepter le verdict de sa mort ? A cette question, la musique de Britten, dans une des scènes clés de l’œuvre, apporte une réponse évidente à décrypter. [Christophe Rizoud]

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