Capriccio entame une réédition des opéras de Zemlinsky. L’initiative est louable, puisque la discographie actuelle consacrée au compositeur reste trop maigre. Ce manque est-il cependant suffisant pour nous faire avaler tout et n’importe quoi ?
Der König Kandaules (d’après le Roi Candaule d’André Gide) est le dernier opéra de Zemlinsky, et le seul que le compositeur nous ait laissé inachevé. Il a fallu le travail titanesque d’Antony Beaumont pour reconstituer et compléter la partition d’orchestre à partir des esquisses plus ou moins détaillées. L’ouvrage n’est donc créé qu’en 1996 à l’Opéra de Hambourg, sous la direction de Gerd Albrecht.
Difficile de juger la musique de Kandaules en regard du reste de la production du compositeur, puisqu’il s’agit d’un travail à quatre mains. Malgré une sensibilité orchestrale manifeste, et un souffle lyrique qui emporte certaines scènes, on demeure un cran en dessous des chefs-d’œuvre que sont la Symphonie lyrique ou les Gesänge nach Maeterlinck. Engoncé dans un livret un peu maladroit et pas très #metoo, Zemlinsky peine à donner du relief à certaines scènes (l’acte I passe sans réel éclat). On savoure tout de même un duo Kandaules/Nyssia à l’acte II, et les quelques emportements du III.
C’est une captation publique de cette création hambourgeoise que Capriccio a choisi de rééditer. On y retrouve les avantages et les inconvénients des distributions « maison ». Le Philebos chantant de Simon Yang et la noblesse du Phedros de Klaus Hager sont des heureuses surprises, tout comme la présence amusante d’un certain Mariusz Kwiecien en Nicomedes. A l’inverse, on se demande si d’autres rôles secondaires ont eu accès à la partition avant de monter sur scène.
En Gyges, Monte Pederson défend un personnage ambigu et torturé, certainement la prestation musicale la plus intéressante de cet enregistrement. La Nyssia de Nina Warren a de l’aigu à revendre, mais souvent au détriment de la musique et du texte. James O’Neal possède tous les moyens vocaux pour venir à bout des difficultés d’endurance du rôle-titre. Quel dommage que sa prestation se résume à un chant monolithique, entre le mezzo-forte et le forte, et sans aucune intention musicale.
Il est difficile de se prononcer sur la prestation de Gerd Albrecht. Certaines pages sonnent bien compte tenu des conditions (enregistrement live), mais il serait hasardeux d’affirmer quoi que ce soit sur base d’un travail d’édition qui frise la malhonnêteté intellectuelle. Points de mixage anarchiques, (dés)équilibres utopiques, distorsion épouvantable quand il faut corriger une nuance : faire payer de naïfs mélomanes pour un tel travail est une véritable arnaque.
Face à une telle débâcle, à quoi bon rééditer ? Certes, l’opéra est peu connu, mais on se consolera facilement avec la version de Nagano, qui, outre un cast de première catégorie, a le mérite de ne pas être mixée avec les pieds.