On ne présente plus Renée Fleming, dont la voix « as warm and rich as a fine single malt » continue d’illustrer tant de répertoires. La France est chère à son cœur, et outre Massenet (on se souvient de sa Manon à Bastille en 91), elle a enregistré deux CD de mélodies, le premier avec Jean-Yves Thibaudet (2001), le second en 2012 (« Poèmes », cycles de Ravel, Messiaen et Dutilleux), qui furent autant de réussites. Elle nous offre maintenant « Voice of Nature : The Anthropocene ». L’intitulé surprend, sans doute ce que recherche le marketing. La plus récente et brève des époques géologiques préside à un programme étonnant. Toujours, la musique a puisé dans la nature une inspiration intarissable. Ici trois créations mondiales, en anglais, de trois compositeurs américains – Kevin Putts, Nico Muhly et Caroline Shaw – qui partagent leur amour de la voix. Le CD s’ouvre, se clôt et marque son centre avec leurs œuvres. Entre elles, des mélodies dont les textes s’inscrivent dans le projet, et parmi elles, une grande majorité de françaises, qu’elle n’a jamais enregistrées, sauf erreur, comme des compositions qui participent du même climat, bien que chantées en allemand. Donc un programme qui marie œuvres célèbres, plus rares, et authentiques découvertes. Prison, En sourdine, les Berceaux sont dans toutes les oreilles, de même que L’heure exquise de Reynaldo Hahn ou S’il est un charmant gazon, de Liszt. A l’autre extrémité, les trois amples mélodies américaines sont autant de réussites. Bien qu’ayant enregistré les Lieder de Mozart en 2006, on ne connaissait pas Yannick Nézet-Séguin comme pianiste accompagnateur. Dès les batteries qui ouvrent Evening, de Kevin Putts, la clarté et la fluidité du jeu attestent ses qualités, confirmées par le balancement central, où la voix et le piano dialoguent et se marient. La conduite de la voix, sa pureté d’émission sont un régal. Endless Space, s’étire sur plus de huit minutes, mais l’attention ne faiblit jamais. S’étant libéré de l’influence de Phil Glass pour trouver son langage personnel, Nico Muhly nous offre une pièce dépouillée, d’une grande poésie, qui permet à la voix de se déployer avec des séductions qui ne sont pas sans rappeler celles d’Elisabeth Schwarzkopf, mentor de notre diva. La magie d’un accompagnement minimaliste et d’une voix éthérée de Aurora Borealis joue pleinement : l’œuvre s’écoute avec bonheur. Caroline Shaw, encore peu connue sur le continent, est un nom à retenir.
Quant aux mélodies qu’encadrent ces trois pièces contemporaines, les cinq morceaux de Fauré se signalent par leur style, irréprochable, au lyrisme contenu, à l’élégance exemplaire. Les tempi sont retenus, la voix, longue, trouve toutes les inflexions qu’appelle le compositeur et le piano cisèle son accompagnement pour mieux magnifier la mélodie. C’est particulièrement vrai des Berceaux, au balancement mesuré, propre à créer le climat requis. La simplicité, le naturel d’Au bord de l’eau nous font rêver. La célèbre Heure exquise, de Reynaldo Hahn, est précédée des Etoiles, que l’on découvre, et suivie de L’énamourée, toutes deux de Théodore de Banville. Autant de perles à un très beau collier, où la mélodie française est illustrée avec maestria. Liszt signe Il est un charmant gazon, si souvent mis en musique, fluide, animé, qui contraste avec le lent et calme Über allen Gipfeln ist die Ruh, d’une paix profonde. Avec Grieg, dont nous sont offerts trois Lieder du recueil de l’opus 48, on renoue avec l’inspiration populaire, souriante, dansante comme rêveuse, dans le droit fil de Schumann (Zur Rosenzeit, tout particulièrement).
Le timbre crémeux, la pureté de l’émission, le soutien de la ligne, une langue aussi exemplaire que le chant, un piano totalement complice, au jeu digne des grands prédécesseurs, dans un programme éclectique qui fait le pont entre le romantisme et notre temps, voilà qui devrait ravir chacun. Seule réserve : la relative brièveté du programme. Mais ne vaut-il pas mieux rester sur sa faim ?