L’année 2012 fut à marquer d’une pierre blanche en matière de redécouverte du répertoire baroque. La résurrection triomphale de l’Artaserse de Leonardo Vinci ouvrait de nouveaux horizons et, au sein d’une distribution globalement remarquable, Franco Fagioli s’y révélait comme le premier contreténor en mesure de ressusciter l’art des castrats dans ce qu’il pouvait avoir de plus virtuose. Le chanteur argentin a d’ailleurs souvent repris au concert, et notamment en bis, le survolté « Vo solcando un mar crudel ».
Il ne faudrait pas pour autant réduire Vinci à un simple faiseur d’airs brillants, et ce programme vient nous le confirmer, les trois-quarts des morceaux proposés étant plutôt dans le registre élégiaque, ce qui n’en exclut pas pour autant la difficulté technique (au passage, notons qu’il y a plutôt 12 « scies » que 20…). Au global, Vinci y apparait comme un compositeur particulièrement intéressant et inspiré, d’une belle palette expressive. Dans cette veine où on l’attendait moins, Fagioli déploie des trésors de subtilités, de couleurs, et une grande variété dans l’expression des sentiments, touchant souvent l’émotion la plus pure et la plus sincère. Le timbre est toujours aussi voluptueux, les vocalises confondantes d’aisance, sans parler des trilles d’une perfection à renvoyer à leurs chères études un certain nombre de sopranos belcantistes. Par contraste, les airs de bravoure déçoivent un peu. Non qu’ils ne soient là encore parfaitement exécutés : il leur manque ici cette folie que nous apprécions tant à la scène, ces suraigus stratosphériques, ces sauts d’octave où l’artiste déploie un ambitus proprement incroyable. Il faut dire hélas que Fagioli n’est pas aidé par un orchestre propret, voire plat. Les écarts de dynamique sont faibles, sans être compensés par une rondeur de son, de sorte que cette interprétation n’est ni excitante, ni capiteuse. Il Pomo d’Oro donne même un peu l’impression de découvrir ces partitions, et la formation ne dialogue que raremement avec le chanteur (à certains moments, on aurait presque l’impression que celui-ci chante sur une bande-son préenregistrée !). Combien regrettons-nous l’absence d’un vrai chef, comme le fut magistralement Diego Fasiolis lors des représentations de 2012 ! Le CD ne propose pas de résumé des intrigues, ce qui reste secondaire : les airs ne sont pas là pour faire avancer l’action, mais pour exprimer un sentiment (l’amour, la colère…) et donner à l’interprète la possibilité de s’exprimer sur ce thème. Il est toutefois regrettable que leur traduction de l’italien ne soit proposée qu’en anglais ou en allemand.
Reportée en 2021, la tournée de promotion de l’album viendra, nous l’espérons, donner plus de chair à ces interprétation, d’autant que Franco Fagioli est toujours galvanisé par la scène. Reste qu’un tel artiste mérite un entourage à la hauteur de son talent. Joan Sutherland avait Richard Bonynge, mais Fagioli est aujourd’hui bien seul.