Pour sa Sérénade pour ténor, cor et cordes, composée à la demande du corniste Dennis Brain, le tout jeune Benjamin Britten – il n’avait pas trente ans –, à peine revenu d’un séjour prolongé aux Etats-Unis, choisit de mettre en musique six poèmes presque aussi crépusculaires que les Quatre Derniers Lieder d’un Richard Strauss qui n’avait plus que quelques années à vivre : hymnes à la nuit, mais aussi à la mort, chants funèbres conçus par quelques-uns des plus grands poètes anglais (dont Blake, Keats et Tennyson). Quinze ans après, le Nocturne pour ténor, sept instruments obligés et cordes revient sur cette fascination pour les ténèbres et le sommeil de la raison : les rêves sont cette fois au centre des huit poèmes, qui vont de Shakespeare au poète de la Première Guerre mondiale Wilfred Owen, en passant par les Romantiques. C’est tout l’art de Britten que de savoir unifier ces différents textes à l’intérieur d’un authentique cycle.
Si Britten aimait à panacher les auteurs, son confrère Gerald Finzi (1901-1956), beaucoup moins connu de ce côté-ci de la Manche, a en revanche choisi pour son Dies Natalis, commande passée en 1938 par le Three Choirs Festival, des textes tous dus à Thomas Traherne, pasteur protestant du XVIIe siècle : après l’Intrada orchestrale, un extrait en prose tiré de Centuries of Meditation pour la « Rhapsody », puis trois poèmes d’inspiration également religieuse pour le reste du cycle. D’une modernité beaucoup plus discrète que Britten (avec malgré tout un beau déhanchement rythmique dans « The Rapture »), la musique de Finzi n’en reflète pas moins une authentique sensibilité poétique. Le couplage de Dies Natalis avec des pièces de son contemporain plus illustre devrait permettre de toucher un plus large public à cette œuvre, déjà défendue par d’illustres gosiers anglophones, comme le ténor John Mark Ainsley ou la soprano Susan Gritton.
En ce qui concerne les Britten, Peter Pears a évidemment enregistré tout ce répertoire, sous la direction du compositeur, dont on peut supposer qu’il respectait la volonté, mais en composant avec ses moyens vocaux très particuliers. Sauf à passer par le spiritisme, Mark Padmore ne peut être en communication aussi directe avec Britten, mais il offre l’avantage d’une voix infiniment plus souple et mélodieuse, rompue au répertoire baroque tout en ayant aussi abordé des styles beaucoup plus tardifs. Et quels étranges effets n’en tire-t-il pas ! Dans les premières mesures de la Sérénade de Britten, après le bref prologue confiée au cor (un Stephen Bell particulièrement volubile), on jurerait avoir affaire à deux voix distinctes, les notes les plus aiguës semblent sortir du gosier d’un contre-ténor. Là où Peter Pears réussissait à offrir un ensemble plus unifié, mais non sans nasalités et sons engorgés, Padmore propose des sonorités étranges, androgynes, troublantes, qui coexistent avec un timbre plus mâle, plus conforme à ce qu’on attend d’un ténor. Cette schizophrénie vocale peut déplaire, mais elle s’accorde assez bien au caractère halluciné des poèmes mis en musique par Britten, ce que renforce une prononciation particulièrement expressive et un talent d’acteur assez renversant, poussé parfois jusqu’à l’expressionnisme. Une version aux partis pris affirmés, à prendre ou à laisser.
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