Après des décennies de mondialisation du chant, où les grands labels ont imposé des distributions internationales, on finissait par rêver d’une Damnation de Faust où le trio central serait incarné par trois chanteurs s’exprimant dans leur langue maternelle, pour rendre pleinement justice au texte élaboré par Almire Gandonnière d’après la traduction que son ami Nerval avait donné du texte de Goethe. De grandes Marguerite, notre pays n’en a jamais manqué, mais avait-elle eu jadis de grands Faust ? Hors Nicolai Gedda, qui pouvait chanter ce rôle ? Eh bien si, la France avait eu son berliozien. Evidemment, pas question de lui confier une intégrale en studio, mais heureusement, un concert radiodiffusé nous préserve un écho du ténor que fut Guy Chauvet. Enée, son autre cheval de bataille, avait laissé une impression mitigée dans une captation diffusée par Malibran, mais l’on s’incline cette fois sans réserve devant son Faust, rôle auquel il était véritablement identifié. Les tout premiers instants donnent l’impression qu’il n’est pas encore tout à fait dans le personnage, mais très vite, on découvre un héros animé d’un souffle authentique, racé, capable de donner à pleine voix la note finale de « Marguerite est à moi » dans le duo mais également soucieux de nuances, avec de superbes monologues, et surtout un raffinement qu’on n’aurait pas forcément attendu de la part de cet interprète.
A ses côtés, une Marguerite admirable : Régine Crespin, sa Cassandre/Didon attitrée, dont la voix immense semble presque déborder du micro, impériale dans chacune de ses trop peu nombreuses interventions, même si « D’amour l’ardente flamme » est pris à un tempo qui donne l’impression que l’héroïne somnole encore comme à la fin du Roi de Thulé.
Le plus déconcertant, surtout pour qui aura grandi avec dans les oreilles le timbre d’un Jules Bastin, c’est le Méphisto de Michel Roux, qui sonne étonnamment clair (dans ses premières répliques, c’est à peine si l’on entend la différence avec Guy Chauvet). Ce que le timbre n’a pas en noirceur, il le rattrape par son panache, son élégance, son onction hypocrite. Malgré tout, le personnage reste légèrement en retrait.
Autour d’eux, le chœur de la radio néerlandaise s’exprime dans un français qu’on voudrait parfois plus ferme, et les pupitres masculins prennent un peu de retard dans le dernier couplet des bergers. La prise de son, bonne pour les solistes ou pour l’orchestre seul, n’est de toute façon pas d’une grande netteté pour le chœur, et a un peu tendance à écraser tout dans les grands ensembles.
Enfin, la direction de Jean Fournet est conforme aux pratiques de son temps, avec la vigueur nécessaire pour les grands moments attendus du public, mais où l’on voudrait plus de fièvre pour la course à l’abîme, et avec une coupe scandaleuse dans la scène infernale, où une grande partie des « hirimirukarabra » proférés par les démons a purement et simplement disparu.
Malgré tout, il était temps que cette version redevienne disponible, pour rappeler aux jeunes générations qu’avec un artiste comme Guy Chauvet, il était possible de donner ces grandes œuvres du répertoire pour lesquelles on est aujourd’hui obligé d’aller chercher un titulaire en Allemagne ou en Amérique. Du reste, Malibran ne s’arrêtera pas en si bon chemin, puisqu’il se prépare un disque d’extraits wagnériens par le même ténor…