Il y a vingt ans, un volume intitulé « Opéra et Cinéma » se serait sans doute focalisé sur les dernières réussites du genre film-opéra, comme la Butterfly de Frédéric Mitterrand sortie en 1995. La Tosca de Benoît Jacquot (2001) semble néanmoins avoir sonné le glas du genre, encore un peu plus enterré par les retransmissions de spectacles en direct dans les cinémas, qui font désormais partie du paysage lyrique comme une de ces « pratiques culturelles nouvelles, diverses et prometteuses » dont parlent Aude Ameille, Pascla Lécroart, Timothée Picart et Emmanuel Reibel.
En 2013, les quatre éditeurs de l’ouvrage à présent publié par les Presses universitaires de Rennes ont organisé, sur le susdit thème « Opéra et cinéma », trois journées d’étude, à Rennes, à Besançon et à Nanterre. Des diverses communications alors présentées est né cet épais recueil d’articles (450 pages), qui aborde la question sous des angles variés, sauf peut-être l’un des plus évidents de nos jours, et qui mériterait sans doute un volume à lui seul : l’utilisation d’images filmées, souvent en direct, dans la mise en scène d’opéra, tendance lourde et qui ne paraît pas près de disparaître. Seul article à s’en rapprocher un peu, celui portant sur le travail de Bill Viola pour Tristan et Isolde, véritable film d’artiste préalablement conçu en collaboration avec le metteur en scène Peter Sellars.
Mais si cet aspect est éludé, le livre n’en est pas moins riche d’informations et de pistes de réflexion sur les autres manières dont ont pu s’unir l’art dit « septième » et le genre opéra, souvent présenté comme la synthèse des six autres, « interactions institutionnelles, techniques, esthétiques, génériques, formelles et humaines multiples ».
La première partie envisage les liens entre l’art lyrique et le cinéma à ses tout débuts : airs d’opéra arrangés pour piano ou pour orchestre et utilisés comme musique d’accompagnement, effets spéciaux communs aux deux genres, et hommage du jeune cinéma au vieil opéra avec les premières adaptations du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux.
La deuxième partie se penche sur l’influence que le cinéma a pu à son tour avoir sur le genre lyrique, depuis les années 1920 (« la progressive innervation de l’opéra par les modalités du film », la technique du 7e art modifiant non seulement la mise en scène, mais aussi la conception même de certaines œuvres, comme Intermezzo de Richard Strauss). Ce sont bientôt les cinéastes auxquels on fait appel pour monter des spectacles d’opéra : outre le cas d’Eisenstein, chargé par Staline de mettre en scène La Walkyrie au Bolchoï en 1940, exemple étudié par Olivero Massimo, le volume inclut un tableau systématique des spectacles confiés à des réalisateurs de 1950 à nos jours, élaboré par Aude Ameille.
« Filmer, capter et montrer l’opéra » aborde ensuite les diverses manières dont la pellicule a pu refléter la réalité vivante du spectacle lyrique : pratiques d’adaptation du film-opéra, des années 1930 jusqu’au Juan de Kasper Holten (2010) ; diffusions proposées par la RTF dans les conditions du direct, entre 1956 et 1964 ; documentaires sur le monde lyrique, sur un artiste, sur un spectacle (minutieuse étude par François-Gildas Tual du Pelléas et Mélisande, le chant des aveugles, de Philippe Béziat), sur une maison d’opéra.
La quatrième partie, « La question de l’opératique au cinéma », touchera peut-être davantage les cinéphiles – notamment les amateurs de Woody Allen ou de Dario Argento – que les mélomanes, encore qu’il soit intéressant de mieux connaître, grace à Thierry Santurenne, l’image de « La diva au cinéma », étude assez exhaustive (qui inclut même l’apparition de Jane Rhodes dans Un mari c’est un mari).
« Interactions multiples et multiformes » réunit des articles portant sur l’hybridation des formes : cet « opéra parlé » que fut le Songe d’une nuit d’été filmé par Max Reinhardt avec la musique de Mendelssohn arrangée par Korngold, l’influence de Pelléas sur la musique de film, et même, sous la plume d’Emmanuel Reibel et Céline Carenco, une étude du lexique cinématographique dans la critique d’opéra et du vocabulaire lyrique dans la critique de cinéma, Forum Opéra ayant été choisi, avec Diapason, comme base du corpus de recherche.
Ponctué d’entretiens avec des compositeurs ou réalisateurs, le volume s’achève sur la transcription d’un débat réunissant Philippe Béziat, Benoît Jacquot et Jacques Martineau.