Cette parution, souvenir des représentations du Théâtre des Champs-Elysées en 2019, se présente comme un CD et un DVD reprenant les « meilleurs moments » de ces représentations. Ce n’est donc pas une intégrale et les deux supports n’offrent du reste pas tout à fait la même matière, puisque le DVD reprend les dialogues, qui sont absents du CD (on est heureux de les retrouver, mais honnêtement ils ne sont pas non plus inoubliables et les chanteurs n’étant pas tous germanophones, l’idiomatisme n’est pas toujours au rendez-vous).
Se confirme ici, si besoin était, que Freischütz est un opéra de chef. La matière orchestrale joue un rôle tout à fait neuf, qui raconte et suggère plus qu’elle ne l’a jamais fait. L’espèce d’arrière-monde magique et énigmatique qui est le fond même du livret s’exprime bien sûr sur scène, mais surtout dans la fosse, creuset de cet imaginaire romantique. Laurence Equilbey affirmait au micro de Gwenn Lucas pour Forum Opéra sa connivence avec la musique de Weber et singulièrement avec le Freischütz, qu’elle qualifie de « détonateur de la musique romantique ». Cette affinité s’entend : elle tient dans le creux de sa main la dramaturgie intime de cet opéra, et lui donne les couleurs qu’il requiert – couleurs que son enfance allemande, en Forêt-Noire, où elle est née, semble avoir imprimé dans sa sensibilité. Jamais elle ne laisse la bride sur le cou de son Insula Orchestra et ne cède pas à un romantisme échevelé et éperdu. C’est une lecture toute de tenue jouant sur les timbres des instruments anciens : aux forêts de Weber répond le boisé des timbres, leur « rusticité », comme le dit la cheffe.
A ce récit répond, sur scène, le dispositif de la compagnie 14:20. Raphaël Navarro et Clément Debailleul ont réussi à ne pas tomber dans la quincaillerie romantique sans pour autant congédier l’atmosphère si particulière du romantisme allemand. Images de sous-bois, obscurité percée de lueurs mobiles, ombres et fantômes venant hanter la Gorge-aux-Loups, danseur (Clément Dazin) traduisant corporellement les états d’âme, tout cela offre une vision métaphorique du drame qui se joue, avec une réelle efficacité visuelle. On constate une fois encore, à la lumière de cette mise en scène, que le romantisme germanique nous parle pour autant qu’on n’en détourne pas le propos mais qu’on en recherche l’imaginaire profond, mélange d’innocence et d’angoisse.
Vocalement, Laurence Equilbey a décidé de ne pas employer les voix très dramatiques que l’on retrouve bien souvent dans cette œuvre. Les interventions du Chœur Accentus que dirige Frank Markowitsch, sont tout de transparence et de finesse. En Agathe, la Sud-africaine Johanni van Oostrum possède une voix lyrique de très belle eau, et elle fait valoir un timbre chaleureux et rayonnant – que l’on entend parfaitement dans la Prière ou dans la cavatine. Stanislas de Barbeyrac n’est plus le Tamino qu’il fut. La voix s’est joliment corsée dans le grave et le médium : cela nous vaut un Max très crédible. Hélas, la quinte aiguë n’a pas encore l’éclat attendu : dans « Durch die Auen », après un début fougueux, la voix blanchit et se tend à mesure que la tessiture se fait plus dramatique, et on frôle l’accident. Dommage. Chiara Skerath, en Ännchen, impressionne au contraire par sa maturité : en quelques années, la voix a pris du corps, de la couleur. Ne cédant pas aux œillades et aux facilités du rôle, elle en livre une performance musicale et théâtrale très aboutie. De même, le Kaspar de Vladimir Baykov échappe à tout histrionisme, et sait varier à merveille la bonhomie et le démoniaque, avec une plasticité vocale étonnante. Dans les seconds rôles, la noblesse de Daniel Schmutzhard fait merveille, comme le Kilian percutant d’Anas Séguin. Même si les autres opéras de Weber sont moins propices à la mise en scène, il serait intéressant que Laurence Equilbey en explore les secrets.