Pour cette nouvelle livraison de son intégrale des pages symphoniques des opéras de Daniel-François-Esprit Auber, Dario Salvi a concocté un programme particulièrement original puisqu’à part l’ouverture de La Muette de Portici, les pages sélectionnées sont quasiment inconnues aujourd’hui. Le disque ne commence pas toutefois par un ouvrage lyrique, mais par une pièce de circonstance encore plus rare, la Grande Ouverture pour l’Inauguration de l’Exposition à Londres composée pour la Grande Exposition de 1862. Pour cette occasion, trois autres compositeurs furent également sollicités : Giacomo Meyerbeer, qui produisit une Ouverture en forme de Marche, William Sterndale Bennett, avec son International Exhibition Ode et Giuseppe Verdi qui écrivit l’Inno delle nazioni. Celui-ci ne fut toutefois pas joué au concert inaugural, officiellement parce que la partition était arrivée trop tard, mais peut-être surtout pour des raisons politiques compliquées : quelques semaines plus tard, la pièce était donnée au Royal Opera, la qualité de la musique de Verdi ayant suffi à convaincre de son intérêt. Le concert nécessita la participation de 1800 exécutants, dont 400 instrumentistes, parmi lesquels 240 pour les instruments à cordes et 160 pour les instruments à vent, majoritairement pour la marche composée par Auber (inutile de préciser qu’elle nous est ici proposée dans une version allégée). Malgré les circonstances, la marche d’Auber n’est pas particulièrement solennelle, mais plutôt vive et enjouée, à l’image d’une époque sortant de guerres et de révolutions, confiante dans un avenir embelli grâce au progrès scientifique (on trouve déjà l’écho de cet optimisme dans Il Viaggio a Reims de Gioachino Rossini). Composée en 1845, La Barcarolle ne sera donnée que cette année-là et ne comptera que 27 représentations. Le Comte de Fiesque veut aider son demi-frère Fabio à se faire remarquer auprès du Duc de Parme en lui confiant un poème à mettre en musique. L’ouvrage inachevé est volé par deux courtisans, le Marquis de Felino et Cafarini, le maître de chapelle, et envoyé à la duchesse dans une corbeille de fruits. Le Duc intercepte la mélodie qu’il juge révolutionnaire et, jaloux de cet étrange présent parvenu à son épouse, cherche à en identifier les auteurs. Le Marquis parvint à faire interpréter la mélodie par Fabio devant le Duc, mais le jeune homme précise modestement que le Comte est l’auteur des paroles. Le Duc fait arrêter le Comte. Cafarini essaie de faire chanter le Marquis. Essayant de rétablir la vérité, Fabio s’introduit au concert donné en l’honneur du Duc et réussit à faire jouer l’air incriminé : après de grandes explications compliquées et diverses péripéties (je vous fais cadeau de celles des deux sopranos), le Duc pardonne tout le monde. L’ouverture est enlevée mais la barcarolle qui donne son titre à l’ouvrage n’est pas aussi séduisante que d’autres morceaux du même type du compositeur (par exemple la barcarolle de La Muette de Portici) : la tarentelle est en revanche délicieuse. Créés en 1836, Les Chaperons blancs eurent encore moins de succès avec seulement douze représentations. L’action se situe à Gand au Moyen Âge. L’apprenti Gautier est amoureux de Marguerite, la pupille du parfumeur Vanderblas. Elle-même est amoureuse d’un jeune inconnu. Gilbert, le Grand Ecuyer du Comte Louis apporte un message à la jeune fille qui est invitée à être la demoiselle d’honneur de la Duchesse et à rejoindre celle-ci dans sa tour. Gilbert et Gautier révèlent à Vanderblas qu’ils font partie d’un groupe de conspirateurs, les Chaperons blancs, qui veulent renverser le Duc. La Duchesse rejoint Marguerite mais se dévoile comme le jeune homme que la jeune fille aime et, accessoirement, comme le Duc ! Elle appelle à l’aide, le Duc s’excuse et invite tout le monde à dîner : les conspirateurs en profitent pour le faire prisonnier. Marguerite et Vanderblas préparent l’évasion du Duc. Vanderblas a récupéré la recette du poison de Frère Laurent : une potion qui donne l’apparence de la mort pour une heure. Quand les conjurés viennent pour saisir ses biens, ils croient d’abord tomber sur son cadavre. Sa résurrection leur flanque un coup au moral. Les troupes du frère du Duc en profitent pour reconquérir la ville. On peut présumer que la faiblesse et l’absurdité de l’intrigue sont les causes principales de l’échec de l’ouvrage. L’ouverture fut d’ailleurs bissée à la première. Nous avions évoqué Lestocq à l’occasion du deuxième volume de cette intégrale. L’ouverture en est un pur bijou, avec ces qualités typiques du compositeur de gaité teintée d’un voile de nostalgie. Créé en 1834, l’ouvrage resta au répertoire jusqu’en 1851 pour un peu moins de deux cents représentations. Inspirée de personnages historiques, l’intrigue (extrêmement compliquée) nous narre les exploits du Comte Jean Armand de L’Estocq, un médecin et aventurier français qui conspire pour aider Elisabeth à conquérir le trône de son défunt père, Pierre le Grand. La Muette de Portici est un des chefs-d’oeuvre du compositeur pour lequel on trouvera ici un résumé du livret. Son ouverture, particulièrement réussie, est ici prise dans un tempo plus lent qu’à l’accoutumée, moins exaltant, un brin laborieuse, mais aussi plus solennel. Créé quelques semaines avant le 88e anniversaire du compositeur, Rêve d’amour témoigne de l’extraordinaire fécondité et de l’éternelle jeunesse du compositeur. Ce fut son dernier ouvrage lyrique et son destin fut interrompu par la guerre de 1870. Pour une fois, le livret n’est pas d’Eugène Scribe (mort en 1861) mais d’Adolphe-Philippe d’Ennery (co-auteur du livret du Cid de Massenet et fondateur de la station balnéaire de Cabourg) et Eugène Cormon (co-auteur du livret des Pêcheurs de Perles mais dont on retiendra surtout Les Deux orphelines, célèbre drame écrit avec d’Ennery). Nous sommes au XVIIIe siècle. Marcel, un jeune paysan romantique, a croisé une jeune fille endormie sous un pommier. Il lui a déposé un baiser sur la joue mais c’était permis à l’époque. La jeune Henriette a senti la caresse mais n’a pas vu son auteur. Elle s’imagine quelque beau jeune homme, noble comme elle. En fait, Marcel doit épouser Denise. Quand la noblesse du château descend au village pour assister à la noce, Marcel reconnait celle qu’il a embrassée et fuit en plantant là sa promise. A l’acte II, Marcel rencontre fortuitement Henriette dans le parc du château : il en est follement amoureux et décide de s’engager à son service. Le troisième acte ménage quelques surprises : un authentique jeune chevalier (amoureux lui aussi d’Henriette) lui révèle qu’elle n’est que la fille adoptive du Marquis de Roche-Villiers, le châtelain ayant par ailleurs étendu sa protection à Marcel. Henriette révèle à Marcel qu’elle est sa sœur. Marcel épouse finalement Denise, et Henriette, son chevalier. On n’est pas passé loin de la catastrophe. L’ouverture est d’une grande délicatesse, évoquant l’atmosphère de Watteau comme le souligne Robert Ignatius Letellier dans ses excellentes notes de présentation. Le Serment fut créé à l’Opéra en 1832 et y connut une centaine de représentations : son livret , par ailleurs assez mince, était certainement plus typique de l’opéra-comique. Andiol a choisi comme futur gendre un inconnu (en fait le Capitaine Jean, un brigand à la tête d’une bande de faussaires) alors que sa fille Marie et le jeune fermier Edmond s’aiment. Edmond a découvert la véritable identité de son rival, mais a juré le secret et ne peut s’opposer au mariage. Marie part avec le capitaine et Edmond devient soldat. Il revient de la guerre avec le grade de brigadier, s’étant couvert de gloire à Marengo (mais sans crier victoire pour autant). Marie lui est restée fidèle malgré son attitude incompréhensible pour elle. Andiol découvre la réalité du personnage de Jean et accepte le mariage d’Edmond et Marie. Populaire en son temps, l’ouverture rappelle lointainement celle de Fra Diavolo par ses mesures martiales. Pour ce nouveau volume, le chef d’orchestre Dario Salvi dispose d’un nouvel orchestre, la Philharmonie de Moldavie, plus corsé et plus satisfaisant que la précédente formation de chambre, et sert avec dévotion la musique de ce compositeur encore trop peu joué quand chaque nouvelle reprise est pourtant un franc succès.