Tiré des métamorphoses d’Ovide, le thème d’Acis et Galatée, les amours contrariées du berger et de la nymphe, a inspiré de nombreuses œuvres tant en peinture qu’en musique. Si on connaît bien l’opéra de Haendel, celui de Lully est beaucoup plus rare. Commandé pour une célébration en l’honneur du Grand Dauphin, fils de Louis XIV, il est le dernier opéra achevé par le compositeur, quelques mois seulement avant sa mort. Le grand Philippe Quinault, auprès de qui Lully avait ses habitudes, s’étant récemment retiré de la scène, c’est un autre librettiste qui est convoqué, Jean Galbert de Campistron (1656-1723), originaire de Toulouse et monté fort jeune à Paris, futur académicien que Racine avait plus ou moins pris sous son aile.
Le style, cependant, est assez convenu, et en tous points conforme à ce qu’on attend de la langue de l’époque, qui fait rimer amour avec toujours, fureur avec terreur et désir avec plaisir.
La musique de Lully, sans doute plus tendre et plus bucolique ici que dans ses tragédies lyriques, épouse à la perfection le rythme du texte, sans se départir pour autant de sa pompe habituelle et d’une certaine grandeur. Faite de longs dialogues, de très rares duos (mais ils sont délicieux) et de forts jolis chœurs, cette pastorale fut enregistrée une première fois par Minkowski et les Musiciens du Louvre en 1998 pour Archiv Produktion, et à ma connaissance, plus depuis.
Tirant parti de la rigidité de la forme pour créer de subtiles tensions dramatiques, pour ménager des surprises, des attentes et faire émerger les moments clés du drame comme autant de jalons ou de repères pour l’auditeur, Christophe Rousset mène ses troupes avec confiance et détermination. Il faut bien dire qu’il s’est entouré d’une solide équipe, principalement composée de partenaires fidèles qu’on retrouve d’une production à l’autre, et qui sont choisis parmi les meilleurs (encore) jeunes chanteurs français du moment. Cela nous donne une distribution particulièrement homogène, avec une unité stylistique parfaite, un constant souci de la diction et de la clarté de la langue, un souci des détails poussé assez loin. Les deux rôles titres, confiés à Ambroisine Bré et Cyril Auvity sont évidemment au centre de l’attention. Très fins musiciens tous les deux, délicieusement complices, ils forment un couple attachant et vocalement très bien assorti, jouant de mille nuances pour faire ressortir le texte et donner à la musique de Lully le relief et la diversité de ton indispensables pour suivre le récit. A ce titre, le début de l’acte II est remarquable : émotions variées, riche palette de couleurs et dynamique vocale soigneusement travaillée contribuent à la théâtralité du propos. L’auditeur est captivé, à la fois charmé et conquis, l’oreille sans cesse titillée par de délicieux petits détails d’exécution.
Le rôle d’Acis, dans la veine bucolique et pastorale, comprend cependant des passages qui sollicitent aussi la veine héroïque. Dans cette veine, Auvity semble un peu moins à son aise, forçant la voix et montrant ses limites. Mais c’est peu de chose à côté du charme et des émotions distillées ailleurs. Ambroisine Bré montre un peu de dureté dans la voix lorsqu’elle force le trait, mais fait preuve elle aussi de beaucoup de séduction partout ailleurs.
Très spectaculaire, Edwin Crossley-Mercer assume avec conviction et des moyens vocaux très convaincants le rôle du méchant Polyphème, que son timbre puissant fort caractéristique et plein de séductions rend très crédible.
Bénédicte Tauran, soprano à la voix flûtée, peu puissante mais pleine de charme, chante le rôle de Scylla (ainsi que l’Abondance dans le prologue). A ses côtés, Deborah Cachet en Aminte présente une voix magnifique, pleine de grâce et de lumière. Robert Gretchell prête sa très jolie voix de ténor au rôle de Télème, sans grand éclat cependant.
Philippe Estèphe est un Neptune encore un peu vert, tandis qu’ Enguerrand de Hys a plus de caractère et de présence dans le petit rôle de Tircis (il chante aussi le Prêtre de Junon).
Soulignons également le très beau travail du Chœur de chambre de Namur, préparé ici par Thibault Lenaerts, qui ponctue la partition de ses interventions avec beaucoup de subtilité, un grand soin du texte et une belle homogénéité de couleur.