Cette représentation des Huguenots de Meyerbeer ne semble pas être née sous une bonne étoile : le – mauvais – hasard du calendrier veut que cette pièce qui se termine tout de même par le bain de sang de la Saint-Barthélémy parisienne le 24 août 1572 soit donnée à Dresde un 31 octobre ! Or, dans les Länder allemands de confession majoritairement luthérienne (comme la Saxe et Dresde donc, sa capitale, avec la majestueuse statue de Martin Luther face à la Frauenkirche), le 31 octobre est férié, puisqu’on célèbre justement le Reformationstag, le jour de la Réforme. On commémore le 31 octobre 1517, jour où Luther, en affichant ses 95 thèses sur les portes de l’église de Wittemberg, déclenche le mouvement de la Réforme.
Les rangs du Semperoper sont très clairsemés, on parlera d’une demi-jauge au maximum. Et puis, avant le lever de rideau on annonce que le titulaire du rôle de Raoul est souffrant et ne peut tenir sa place. Pour sauver la représentation, on est donc allé chercher, au dernier moment, Anton Rositskiy à Berne, en pleine série de représentations du Guillaume Tell de Rossini (où il tient le rôle d’Arnold). La veille à Berne, le lendemain à Dresde, il chantera sur le côté de la scène, et c’est une figurante (!) qui mimera le rôle de Raoul, en l’absence donc de Sergey Romanovski.
De toute évidence, les planètes ne sont pas alignées ce soir-là et, disons-le avec regret, elles ne réussiront pas à se remettre d’aplomb.
Au premier acte, on frôle même la catastrophe. Rien n’est en place. Rositskiy semble déchiffrer à vue ; il s’absente au moment où il doit chanter ; son dialogue avec le violon solo (où aucune harmonique n’est réussie) tourne au supplice car l’accord n’y est pas. Les chœurs sont en décalage avec l’orchestre et on ne comprend pas un traitre mot du français sensément articulé sur scène. On se dit alors que les cinq actes vont nous sembler longs, même si, et c’est bien dommage, on a supprimé le ballet du V, élément tout de même obligé du grand-opéra à la française que sont Les Huguenots.
Il ne servirait à rien d’énumérer tout ce qui ne va pas ce soir-là ; cela fait aussi partie du spectacle vivant. Les deux premiers actes sont à oublier sans doute, mais la soirée, heureusement, ne s’est pas résumée à cela.
© Semperoper / Ludwig Olah
Le magnifique écrin du Semperoper est paré des décors fastueux de Johannes Leiacker (dommage seulement qu’il ait placé en arrière-plan un paysage de montagne alors que l’action se passe en Touraine puis à Paris ! ). Les costumes d’époque ne sont pas moins magnifiques (tout de rouge pour les catholiques, de noir et blanc pour les huguenots). La mise en scène de Peter Konwitschny est sobre et efficace ; la nuit de la Saint-Barthélémy est bien rendue et le massacre lui-même montré avec juste ce qu’il faut de réalisme.
© Semperoper / Ludwig Olah
Outre les réserves évoquées plus haut, dues à un contexte malheureux, on regrettera que le plateau vocal ne soit pas à la hauteur des attentes ; nous ne reviendrons pas sur la prononciation plus que médiocre, à part peut-être le rôle de Marguerite, tenu par Elena Goshunova. Celle-ci est d’ailleurs, avec Sabine Brohm (qui tient le petit rôle de Catherine de Médicis) la seule à tirer franchement son épingle du jeu. Son air du II (« Ô beau pays de la Touraine »), et plus encore la cabalette qui suit (« A ce mot seul ») mettent en valeur une réelle expressivité et une belle conduite du chant. Jennifer Rowley, qui tient le rôle de Valentine, a failli sombrer dans le II, mais la suite est meilleure et surtout sa part dans le duo du IV avec Raoul est prépondérante dans la crédibilité dramatique de la scène : saluons son excellent jeu de scène. Le Marcel de Lawson Anderson est handicapé par … un bras en écharpe et une voix bien trop gutturale. Nevers et St Bris (Dimitris Tiliakos et Tilmann Rönnebeck) s’en sortent sans trop de dommage mais devraient, eux aussi, prendre des cours de diction française.
Orchestre de la Staatskapelle Dresden au grand complet, direction de John Fiore dénuée de sobriété, mais avouons que la musique de Meyerbeer n’en est pas non plus pourvue outre mesure.