Si Umberto Giordano a pu composer ce qui restera son seul grand chef d’œuvre avec, dans une moindre mesure, Fedora, c’est grâce à des amis sincères. Le livret d’Andrea Chenier, qui raconte l’histoire très romancée du poète français mort sur l’échafaud, avait été écrit par Luigi Illica, l’un des librettistes favoris de Puccini, pour le compositeur Alberto Franchetti. Mais ce dernier l’offrit au jeune Giordano, menacé d’être renvoyé par son éditeur Sonzogno, faute de succès. Le jeune homme n’avait pas 30 ans et pas un sous non plus. Cette opportunité était sa dernière chance. Mais l’éditeur ne s’en laissait plus conter et renâcla à le proposer à la Scala. Ce fut donc Mascagni, gloire du courant vériste, qui dut intervenir pour imposer la nouvelle œuvre de Giordano.
Coup du sort, si fréquent dans l’histoire de l’art lyrique, le ténor pressenti tira sa révérence à quelques jours de la création. On en trouva un autre, Giuseppe Borgatti, qui ne rata pas la chance de sa vie. Le triomphe fut total et fit instantanément le tour du monde.
Pourtant, que n’a-t-on pas dit sur cet opéra devenu depuis plusieurs décennies mal aimé ! Tous les poncifs habituels y sont passés, comme le rappelle Christophe Rizoud dans son récent article sur l’Andrea Chenier du Théâtre des Champs-Elysées : « vulgaire », « facile », anti-musical » etc. Moins ambitieux qu’Il Trovatore qui en veut quatre, Andrea Chenier n’a besoin que des trois meilleurs chanteurs du monde. En voici deux parmi les plus grands, l’Andrea d’aujourd’hui qui vient de triompher dans ce rôle au TCE, Jonas Kaufmann ; et Eva-Maria Westbroeck, sa Madeleine de Coigny à Londres, ici dans leur merveilleux duo final, somptueusement accompagnés par Antonio Pappano jusqu’à l’échafaud.