2 ans jour pour jour après le triomphe de Ricciardo e Zoraide au San Carlo de Naples, dont il est le directeur musical depuis 1815, Rossini présente dans son théâtre un nouveau « Dramma per musica » en 2 actes, Maometto Secondo. À 28 ans et déjà 30 opéras à son actif, il est fatigué de la surproduction que lui impose un rythme de commandes effréné. Alors cette fois, il prend son temps. Du moins un peu plus. Aucun nouvel opéra n’est créé entre décembre 1819 et décembre 1820, contre 4 pour la seule année 1819. Rossini ne fait que superviser quelques reprises ou met en scène des œuvres de ses confrères, dont Spontini.
C’est en mai 1820 que le grand patron du théâtre, l’omniprésent et omnipotent impresario Domenico Barbaja, lui demande d’écrire un opéra inédit pour Naples. Le livret n’est pas difficile à trouver, puisque son auteur, Cesare della Valle, duc de Ventignano, le tire directement d’une pièce qu’il vient de créer, Anna Erizo. L’action se situe donc au moment de la guerre entre Venise et la Sublime Porte, qui aboutira à la chute d’Eubée, en 1470. Forumopera vous avait d’ailleurs raconté dans ses colonnes la véritable histoire de ce sultan peu rossinien qu’était Mehmet II, et en particulier cet épisode de son long règne, à retrouver ici .
Rossini pense dès le mois de mai à composer son opéra essentiellement pour deux stars de l’époque : son ami, la basse Filippo Galli, créateur, notamment, du Mustafà de l’Italienne à Alger 7 ans plus tôt ; et bien sûr Isabella Colbran, muse du cygne de Pesaro, et qui sera bientôt sa première femme.
La période est agitée sur le plan politique à Naples. Les libéraux et carbonari napolitains exigent du roi des Deux-Siciles, Ferdinand Ier, l’octroi d’une Constitution, qu’il finira par accorder en juillet, avant l’organisation d’élections inédites en octobre et en attendant l’intervention autrichienne qui conduira à la révocation du tout l’année suivante.
Tout ceci retarde la préparation de l’opéra mais permet à Rossini de soigner sa partition, qu’il considère comme l’une de ses plus ambitieuses. Las ! Cette ambition ne rencontre pas le succès voici deux siècles aujourd’hui. Le public napolitain reste hermétique à cette nouvelle œuvre que Rossini remisera sans y renoncer, puisqu’il la revisitera d’abord pour Venise en 1823, où il changera la fin de manière à faire triompher la Sérénissime en réutilisant le finale de la Donna del lago ; puis pour Paris 1826, où elle deviendra – et pour longtemps – Le siège de Corinthe.
En 1985, Claudio Scimone restitue la partition originale lors du Festival de Pesaro, et compte pour cela sur deux autres stars de l’époque : June Anderson en Anna et bien sûr le grand Maometto II de notre temps, Samuel Ramey, que voici ici dans son air de bravoure, « Sorgete ! ».