Né en 1988 à Castro au Chili et adopté par une famille américaine à l’âge de sept mois, Jonathan Tetelman a grandi dans le cadre prestigieux de Princeton où ses dons vocaux sont remarqués et encouragés dès son plus jeune âge. Adulte, il est tout d’abord baryton avant de s’orienter vers la tessiture de ténor. La reconversion n’est pas aisée, et le jeune homme arrête même un temps ses études vocales pour devenir DJ. Après avoir repris son apprentissage, il obtient une première distinction en 2016 (le prix du public au concours Mildred Miller de Pittsburg) et interprète dans la foulée son premier rôle de soliste avec Eisenstein dans Die Fledermaus au Kaye Playhouse at Hunter college de New York. A l’occasion de sa Tosca à Lille, Camille De Rijck écrit : « La star de la soirée, c’est le ténor Jonathan Tetelman, sorte de Franco Corelli qui aurait mangé du Jonas Kaufmann au petit déjeuner. Chant ample et rayonnant, d’une facilité presque nonchalante de la cave au plafond et qui – en plus – se prélasse dans des pianissimi d’une grâce soyeuse ».
Ce premier CD vient largement confirmer cette impression flatteuse. Le timbre, cuivré, est séduisant, riche en harmoniques sur toute la tessiture. La voix s’épanouit dans le haut du registre, sans effort apparent. L’émission y est plus lyrique que spinto, même et surtout justement dans le répertoire de spinto, à l’inverse de son jeune confrère Freddie De Tommaso. C’est imparablement flatteur à l’oreille. Le chanteur peut se le permettre à son jeune âge, mais ce n’est pas non plus sans risque pour la fatigue de la voix. Le registre grave parait plus artificiel. Dans le bas médium, la voix trémule, comme si le chanteur forçait ses moyens. Le ténor est ainsi parfaitement à l’aise dans les airs les plus tendus, comme I Due Foscari, Martha, Madama Butterfly, Francesca da Rimini ou encore dans Il Trovatore couronné d’un phénoménal contre ut final. En revanche, dans La Gioconda qui ouvre l’album, on retrouve un peu du vibratello prégnant d’un Joseph Calleja, avec d’ailleurs les mêmes finesses interprétatives. Le chanteur maîtrise également l’art de mixer les registres, attaquant par exemple forte le si bémol de « La Fleur » pour le terminer sur un divin morrendo (ce n’est pas écrit comme ça mais ça devrait). Au-delà de ces performances vocales, on apprécie surtout une musicalité hors pair, un chant racé et un excellent technique déjà bien installée. On saluera également la maîtrise du phrasé verdien (son Foscari évoque ainsi Carlo Bergonzi, le grand verdien de l’après-guerre). La diction française est le plus souvent de qualité, et son interprétation du « Pourquoi me réveiller », fine mais sans maniérisme, est déjà pleine de promesses pour une ultérieure prise de rôle, d’autant que son physique de jeune premier romantique un brin ombrageux conviendrait tout à fait au rôle (mais laissons le temps au temps…). Ce qui est le plus important toutefois, c’est que la technique et les moyens sont ici avant tout au service de l’expression, avec un sens dramatique particulièrement juste, même dans ces pages pour la plupart rebattues. Ainsi, par exemple, la scène finale de Cavalleria rusticana nous permet d’entendre toute une variété de sentiments, magnifiquement rendus par la seule force du chant. Dans le duo de Francesca da Rimini (ouvrage qu’il a interprété à la scène), Vida Miknevičiūtė prête sa voix au rôle-titre. La chanteuse manque un peu de couleurs et d’italianità, mais son interprétation est justement vibrante. La prise de son est un peu trop réverbérée (si on veut entendre un récital comme dans un cathédrale, il suffit de s’en acheter une) et le programme à peine moins chiche que celui du dernier CD de Freddie De Tommaso (56 minutes contre 50 pour le ténor italo-britannique).
L’Orquesta Filarmónica de Gran Canaria n’a sans doute pas la subtilité de formations plus prestigieuses, mais, sous la baguette experte, et surtout enthousiaste, de Karel Mark Chichon, on apprécie un vrai engagement, un sens dramatique qui ne fait qu’un avec le chanteur, loin de certains accompagnements compassés et indifférents.
Après Pene Pati et Freddie De Tommaso, l’actualité des enregistrements nous propose un nouveau ténor remarquable : une excellente nouvelle pour l’avenir.