Rendant compte d’une première mouvementée (pour cause de COVID) de Roméo et Juliette à l’Opéra Comique le 14 décembre dernier, Christian Peter écrivait à propos de celui qui était arrivé en catastrophe d’Amsterdam pour endosser le rôle de Roméo :
« Le ténor samoan a campé un Roméo absolument miraculeux de bout en bout, un Roméo qui hantera longtemps notre mémoire. On ne sait qu’admirer le plus dans cette prestation de haut vol, son timbre ensoleillé, l’aisance de ses aigus, sa maîtrise des demi-teintes et de la voix mixte, l’élégance de sa ligne de chant sans parler de son exceptionnelle prononciation du français. C’est une salle en délire qui l’a accueilli lors du salut final. »
Christophe Rizoud avait raison d’être impatient d’entendre le premier disque de Pene Pati (Programme de folie pour Pene Pati)
Venu du Pacifique
D’abord parce que c’est l’occasion d’une remise à niveau de nos connaissances géographiques : le ténor est né en 1988 dans la république indépendante des îles Samoa, au milieu de l’océan Pacifique, à 2500 km de la Polynésie française. A deux ans, il s’installe avec sa famille en Nouvelle-Zélande. C’est à Auckland qu’il va chanter dès l’enfance dans la chorale de l’école, puis dans le New Zealand Youth Choir. Il attire l’attention du ténor gallois Dennis O’Neill qui l’invite à venir se former à Cardiff : c’est là que Pene Pati reconnaît avoir acquis les fondements de sa technique vocale. C’est à San Francisco qu’il fait ses débuts en 2017 sur une scène lyrique dans le rôle du Duc de Mantoue de Rigoletto de Verdi.
Un monde de folie
Pene Pati explique lui-même la composition du programme de ce disque au minutage particulièrement généreux (près de 80′) :
« En vous aventurant dans le programme de cet album, vous allez trouver un florilège d’airs qui ont joué un rôle essentiel dans mon parcours/…/ Le Duc de Rigoletto a été mon premier rôle sur une scène prestigieuse, Manon, mon premier opéra français, m’a appris les subtiles nuances et la belle complexité de la langue française/…./ Après la chaleur de Jocelyn, c’est la sincérité de Nemorino, l’allégresse juvénile de Roméo, puis l’héroïsme impétueux d’Arnold ».
On ne va pas en faire reproche au jeune ténor, ni à son éditeur, mais à écouter le disque dans sa continuité, on risque l’indigestion tant la matière est riche : on est bien loin du disque « carte de visite » où l’on aligne quelques tubes en se poussant de la glotte. Peut-être Pene Pati aurait-il pu se « contenter » d’airs français, qui forment l’essentiel de son récital, mais il nous eût privé d’un miraculeux « Come uno spirto angelico » de Roberto Devereux de Donizetti. On conseille donc une dégustation lente, répétée, pour savourer chaque air de ce « programme de folie » !
Verdi et Donizetti
Les extraits de RIgoletto nous font entendre une voix parfaitement placée, même au prix de certaines tensions dans l’aigu, qui fait irrésistiblement penser à celle d’un Alfredo Kraus dans ce même rôle. Le Duc est le premier rôle que Pene Pati a chanté sur scène, c’était à l’Opéra de San Francisco. Assez culotté de sa part d’ouvrir son récital par deux des airs les plus célèbres du répertoire mais le défi est brillamment relevé. On le trouve plus à son aise dans l’autre Verdi du disque, la première scène de l’acte I de La Battaglia di Legnano.
Et on fond littéralement à l’écoute de ses Donizetti. Ici même Yannick Boussaert écrivait, au lendemain de l’avoir entendu dans l’Elixir d’amour à l’opéra Bastille : « Il suffira de l’entendre chanter « una furtiva lagrima », tout en nuances, demi-teintes et mezza voce distillées par ce timbre fantastique, repérer un discret trille au revers d’une phrase et enfin l’entendre conclure sur une note en soufflet ponctuée d’un diminuendo parfait pour comprendre qu’en un air le ténor a conquis Paris ». Mais on est peut-être plus convaincu encore par le Roberto Devereux. Juste sublime. Pour l’île déserte.
Rossini et les Français
Aménophis dans le duo de Moïse et Pharaon, aux côtés de Mirco Palazzi en petite forme, donne un aperçu des réjouissances promises cet été à Aix-en-Provence – Pene Pati ajoutera le rôle du prince égyptien à son jeune palmarès. Le répertoire rossinien est-il le mieux adapté à cette voix au souffle inépuisable – contre-ut tenu plus de vingt secondes dans la cabalette d’Arnold (Guillaume Tell) –, à l’aigu vainqueur mais à la vocalise peu éloquente ?
On admire davantage la diction française, même si, comme chez un Michael Spyres à ses débuts, on entend encore quelques tournures peu naturelles – Dieu que les diphtongues sont difficiles, comme si les librettistes des opéras français s’étaient ingéniés à coller des « on », « en », « un », « an » à tout bout de phrase ! De ce point de vue, Pene Pati est évidemment plus à l’aise dans les rôles qu’il a déjà chantés sur scène, comme le Roméo de Gounod ou le Des Grieux du Manon de Massenet.
Quelles belles idées aussi que ces airs des Huguenots et de l’Etoile du nord de Meyerbeer, et ces incontournables de tout disque de ténor qui se respecte, la « source délicieuse » du Polyeucte de Gounod mais plus encore le choix de la berceuse de Jocelyn de Benjamin Godard pour refermer sur la pointe du chant cet album.
Il faut associer à la réussite de ce disque les chœurs de l’Opéra de Bordeaux et l’orchestre national Bordeaux-Aquitaine dirigés par Emmanuel Villaume, saluer la réalisation éditoriale – un livret trilingue qui comprend, ce qui est devenu rare, l’ensemble des textes des airs d’opéras.