La distribution avait de quoi faire tourner les têtes : Diana Damrau, Renée Fleming et Sophie Koch, brelan de dames d’un Rosenkavalier en version de concert importé du Festival de Baden Baden par le Théâtre des Champs Elysées le temps d’une seule soirée. Le public ne s’y était pas trompé ; le spectacle était annoncé complet depuis plusieurs mois et une demi-heure avant, l’avenue Montaigne bruissait de la rumeur des grands soirs avec, dès la sortie du métro, son lot de revendeurs de places et de spectateurs malheureux, une affichette à la main, en quête de billets.
D’un tel emballement, on aurait pu craindre la déception que provoquent les événements trop imaginés parce que trop attendus. Passée une ouverture qui révélait un Orchestre Philharmonique de Munich éblouissant, jouant Strauss comme l’on parle sa langue maternelle, la direction de Christian Thielemann laissait justement entrevoir une éventualité de naufrage : intelligente et même exemplaire dans son éventail d’humeurs et dans le soin porté à l’accord entre le son et le texte mais très, trop, présente. Et pourtant remarquable à condition d’accepter que l’orchestre et les chanteurs puissent jouer à armes égales dans une partition luxuriante où l’amateur d’opéra cherche toujours davantage à écouter les voix.
Ce n’était d’ailleurs pas l’unique parti-pris d’une interprétation qui, disons-le tout de suite, toucha à l’excellence si l’on veut bien admettre chacun d’eux.
Admettre l’idée d’une Sophie plus pintade que de raison, Diana Damrau vif-argent, irréprochable de style, de ligne et de musicalité mais très terre à terre dans l’esprit.
Consentir au sybaritisme d’une Renée Fleming, irradiante dans une robe Galliano, qui – c’est un lieu commun mais l’image s’impose – prête à sa Maréchale des accents crémeux, la consonne un peu molle mais le medium opulent quand l’orchestre ne lui emboite pas le pas, et l’aigu voluptueux.
S’enflammer pour l’Octavian de Sophie Koch, dont l’art et la voix combinent à la fois l’éclat et les couleurs, le soprano et le mezzo-soprano, la jeunesse et l’ardeur, idéale dans un rôle qu’elle habite aujourd’hui mieux que quiconque.
Se résoudre à ce que le baron Ochs soit moins chanté que joué par un Franz Hawlata qui en maîtrise toutes les ficelles d’une patte un peu lourde.
Envisager « Di rigori armato il seno » comme un pastiche plutôt qu’un hommage ; Ramon Vargas, annoncé souffrant, ne peut le faire rayonner.
Considérer Annina – Jane Henschel vigoureuse et tranchante – et Faninal – Franz Grundheber tonitruant – sous un jour plus wagnérien que mozartien.
Accepter donc que l’approche, moins poétique mais plus naturelle, déroge à nos habitudes, et rendre les armes lors d’un trio final qui, sublime, fit se dresser la salle comme un seul homme. Se laisser porter, et emporter, par une soirée d’exception.