Comme beaucoup de maisons d’opéra, le Staatsoper Berlin (en coproduction avec la Scala de Milan) présente une Tétralogie à cheval sur plusieurs saisons. Les deux premiers volets de cette nouvelle production du cycle ont été montés au cours de la saison 2011-2012 et font l’objet de reprises avant la diffusion complète du Ring à la fin de cette saison.
La sobriété de la mise en scène de Guy Cassiers, le raffinement discret des décors, la monochromie des costumes, les subtils effets des éclairages et des projections vidéo concourent à porter cette Walkyrie aux premiers rangs des récentes productions de cette œuvre.
A l’acte I, la scène reste plongée dans l’obscurité tandis qu’un effet de clair-obscur est obtenu par la projection, sur une partie du décor, d’une vidéo représentant un feu de cheminée, devant lequel les protagonistes évoluent en ombres chinoises. Le groupe équestre, planté au milieu de la scène de l’acte II, prélude, en contrepoint par sa fixité, la chevauchée tumultueuse des Walkyries habillées de longues robes à jupons et à traînes qu’elles agitent frénétiquement, au début du troisième acte.
Les somptueux éclairages et les projections discrètes qui balayent le décor tantôt d’une lumière sépulcrale tantôt d’ardentes flammes donnent le relief propice au drame qui se trame et laissent place à l’interprétation des chanteurs et des musiciens pour traduire les enjeux et les conflits qui animent les personnages.
La fosse et le plateau ne sont en effet pas en reste dans le succès de cette soirée. C’est une Walkyrie intimiste que l’orchestre de la Staatskapelle nous donne à entendre sous la baguette de Daniel Barenboim. Les cuivres sont bridés au point que les éclats orchestraux sont à peine esquissés laissant ainsi aux cordes le champ libre pour s’y épanouir, répandre sa pâte musicale et faire ressortir de subtiles et délicieuses nuances. L’épisode de la chevauchée lui-même subit cette retenue au grand dam des amateurs de décibels.
Cette relative douceur permet aux chanteurs de dominer le flot musical d’un bout à l’autre de l’œuvre sans jamais forcer leur émission. Le plateau est remarquable, tant par la qualité des voix que par la maîtrise du phrasé et du chant wagnérien, au point que les fameux tunnels de l’acte II (duos Wotan-Fricka et Wotan-Brünnhilde) paraissent trop courts !
Peter Seiffert (Siegmund), rompu aux rôles wagnériens, revêt toutes les caractéristiques d’un ténor héroïque dont les réserves de puissance semblent inépuisables notamment lors de ses imprécations (« Wälse, Wälse ! »). Waltraud Meier, adoubée par Bayreuth dès ses débuts à la scène, est également très à l’aise dans le rôle de Sieglinde qu’elle a chanté pour la première fois à Vienne en 1992. Même si sa voix a perdu de son éclat légendaire, on retrouve avec soulagement le tintement de grelot si caractéristique de son aigu forte. Mikhail Petrenko dans le personnage d’Hunding prend le parti de forcer ses effets vocaux en accentuant exagérément les nuances de son chant sans pour autant rendre son personnage plus cruel ni brutal. René Pape campe un Wotan vocalement irréprochable dans cette prise de rôle en dépit d’un jeu assez statique qui ne laisse rien transparaître du caractère velléitaire du Dieu. Ses précédentes interventions wagnériennes en Fasold ou Hunding pouvaient laisser présager qu’il aurait la vaillance et l’endurance du roi des dieux. Pari tenu. La soprano dramatique suédoise Irène Theorin incarne Brünnhilde avec une rare aisance à laquelle s’ajoute la parfaite maîtrise des redoutables écarts de tessiture que lui réserve sa ligne de chant. Sa voix roule dans la gorge telle un long gargarisme et jaillit soudain, puissante et limpide, vers les sommets éclatants. Elle est en ce sens la digne héritière de l’école suédoise de chant qui a déjà de nombreuses étoiles au firmament wagnérien. La Fricka de la mezzo-soprano russe Ekaterina Gubanova est remarquable de justesse de ton lorsqu’il s’agit de faire respecter les conventions matrimoniales qui lui sont chères alors que tout, dans son art du chant, tend à la perfection. Les huit autres walkyries forment un ensemble cohérent et moins véhément que redouté auquel il convient d’être attentif car c’est souvent parmi ce panel de chanteuses que se recrutent les futures héroïnes wagnériennes : Birgit Nilsson n’a t-elle pas débuté à Bayreuth en 1954 dans le rôle d’Ortlinde ?
La prochaine étape de cette épopée sera t-elle à la hauteur des attentes d’un public conquis par une telle qualité ? Réponse dans quelques jours avec la nouvelle production de Siegfried dans les mêmes murs.