Parce qu’en temps de crise le rire est le meilleur des remèdes, les Brigands ont décidé cette année d’être encore plus drôles que les années précédentes en faisant équipe avec 26000 couverts, une compagnie théâtrale tellement déjantée qu’elle ferait presque passer nos joyeux compères pour de dignes philologues.
Par leur fantaisie conjuguée, Au temps des croisades, un opéra bouffe de Claude Terrasse et de Franc-Nohain (le librettiste de L’heure espagnole), un peu bancal tant musicalement que dramatiquement, se transforme en un vaste délire qui n’est pas sans évoquer Les Deschiens (dans Les Brigands d’Offenbach précisément) et encore plus les Monthy Python. Sacré Graal ou plutôt ici « sacré pal » en référence à L’Etoile de Chabrier, l’un des nombreux clins d’œil dispensés par un spectacle qui n’hésite pas à multiplier les effets de paupières. L’histoire de Dame Bertrade, jeune châtelaine attendant fébrilement depuis trois ans le retour de son époux parti pour la croisade le lendemain de ses noces, n’est en fait que prétexte à une succession de gags. Les exposer serait les déflorer. Il suffit de savoir que l’on rit souvent et fort durant les deux heures que dure la pièce. Avec peu de moyens – une toile peinte en guise de décor unique – mais beaucoup d’idées, Philippe Nicolle, le metteur en scène et fondateur de 26 000 couverts, trouve le rythme et le ton, se jouant des conventions avec un humour décapant, souvent proche de l’absurde, dont la première des qualités est de ne jamais prêter flanc à la vulgarité et ce, malgré un sujet on ne peut plus scabreux (l’essentiel de l’intrigue repose sur le droit de cuissage avec en guise d’accessoire, l’inévitable ceinture de chasteté et, plus original, l’oliphant – désopilant – de Roland). Mieux, entre les éclats de rire parviennent à se glisser des bouffées de poésie bienvenues, notamment un bel effet d’ombre chinoise pour raconter une histoire de chat, d’oiseau, de cage et de clé, qui là encore, n’était l’intelligence de la mise en scène, aurait pu flirter avec le mauvais goût.
Ainsi revigorés, les Brigands plongent avec délectation dans un univers médiéval qui leur est familier, depuis Geneviève de Brabant en 2002 jusqu’à La cour du roi Pétaud l’an passé, même si musicalement l’on est un peu moins à la fête que d’habitude. L’œuvre d’une part comprend plus de texte que de notes. Les mélodies, délicieuses au demeurant dans leur facture belle-époque, ne sont pas légion. Tout au plus retient-on la chanson du faucon (tontaine tonton), les refrains de la Palestine, une valse des pêchés savoureuses et un duo du sommeil d’une tendre délicatesse. D’autre part, l’équipe, dont l’esprit souffle allègrement tout au long de la représentation, se préoccupe davantage de théâtre que de chant. Exception faite d’Emmanuelle Goizé, toujours excellente dans un rôle qui met en valeur sa musicalité, et de Flannan Obé, dont l’impact vocal n’a rien à envier à la présence scénique. Christophe Grapperon fait sonner la musique de Claude Terrasse, même réduite à dix musiciens, avec un entrain communicatif, nous rappelant quel baryton il sait être, le temps d’un air parodique délicieusement boulevardier (un allegro qui souhaite « gloire et victoire » à un onguent destiné à la toilette intime des dames, « le Coaltar saponiné Leboeuf »). Francis Poulenc et Pierre Bernac ne sont pas loin. Mais, une fois n’est pas coutume, c’est un musicien-percussionniste, Christophe Arnulf, aussi talentueux qu’imaginatif, qui vole la vedette à tout ce petit monde, parachevant, de grognements en borborygmes, une impayable croisade contre la morosité.