A l’origine de ce surprenant duo, une rencontre : celle de la harpiste d’origine italienne Isabelle Moretti et de la soprano britannique Felicity Lott. Récitaliste hors pair, cette dernière qui se consacre désormais exclusivement à cette forme, ne pouvait refuser de tenter une nouvelle expérience avec une musicienne réputée et visiblement très admirative.
Les deux artistes ont ainsi établi un programme original d’airs et de mélodies pour voix et harpe, publié récemment aux éditions Naïve, sous le titre « Cantare ». Sur les traces laissées par Marielle Nordmann, autre harpiste célèbre qui a souvent associé son instrument à la voix, Mesdemoiselles Moretti et Lott sont passées de l’inimité des studios à la scène de l’Opéra Comique. Etait-ce une bonne idée ?
Si l’envie de partager son amour pour la musique avec le public est louable, encore faut-il s’en donner les moyens. Or, aucune des deux n’a jugé opportun de faire appel à un metteur en scène qui aurait été capable d’habiller ce « moment musical ». Quelques éclairages parcimonieux, un confortable canapé vieux rose et une table basse en guise de salon, ne suffisent pas à occuper l’espace, d’autant que les musiciennes ne savent guère utiliser ces accessoires. Debout près de son accompagnatrice, la soprano peut compter sur son charme et son peps habituels pour meubler chacune de ses interventions ; mais une fois terminées, elle apparaît à plusieurs reprises à court d’idée ou d’expression, se trémoussant dans sa longue robe noire. On accepte aisément de la cantatrice qu’elle raconte avec son humour et son léger accent ce qu’elle va interpréter, on supporte en revanche difficilement les longues et hésitantes diatribes qu’Isabelle Moretti nous assène sur la vie et l’œuvre de certains auteurs inconnus, un exercice qui ne souffre ni la banalité, ni le manque de préparation. Certains ont sans doute apprécié ces échanges sympathiques et sans prétention, interrompus par de systématiques allers et venues vers une inoffensive carafe d’eau – faisait-il si chaud dans la salle pour remplir ainsi tant de verres ? Les autres déplorent un amateurisme un peu déplacé.
Et la musique dans tout cela ? Une première partie pâlichonne où se succèdent le célèbre « Blow the wind » (a capella), si cher à Kathleen Ferrier, trois Folksongs de Britten, chantées d’une voix prudente et sourde par Dame Felicity, avant un ravissant « Plaisir d’amour ». Véritable curiosité, la cantatrice aborde avec beaucoup de tact et de finesse, Rossini, « L’invito » et « La promessa », tirées des Serate musicali, puis une chanson napolitaine de Donizetti, sans grand intérêt, tandis qu’Isabelle Moretti choisit de jouer un rondo de Nicolas-Charles Boscha d’une belle virtuosité, suivi par un lourd et indigeste « Carnaval de Venise » signé Godefroid Félix.
La seconde partie plus décontractée, débute avec André Messager et son drôlissime « L’amour est un oiseau volage », que la soprano a déjà interprété sur cette scène il y a quelques années, en réponse à l’invitation de Jérôme Savary dans un programme qui avait été intitulé « Felicity Lott s’amuse ». S’il fallait retenir le meilleur moment de la soirée, ce serait sans conteste l’exécution du « Clair de lune » de Fauré, chanté sur un fil de voix avec une délicatesse et une grâce infinies, l’accompagnement de la harpe faisant presque oublier celui du piano par l’aspect diaphane de sa texture. Plus attendu « Parlez-moi d’amour » et « Frou-Frou », bluettes du passé, mais dans lesquelles Felicity Lott excelle en donnant l’air de ne pas y toucher avec cet art unique de manier le second degré. Le fait de l’entendre chanter également deux mélodies de Ginastera dans un espagnol certes perfectible, mais honorable et sensible, constitue une agréable surprise.
Exécuté avec hardiesse et musicalité, la longue transcription du Faust de Gounod, cheval de bataille d’Isabelle Moretti, occupe une place de choix au centre de cette partie.
Accueillies avec chaleur, les deux artistes reviennent sous les applaudissements avec le fameux « Somewhere over the rainbow », que chantait Judy Garland dans le Magicien d’Oz puis concèdent une nouvelle fois lors du second rappel l’amusant « Amour est un oiseau volage ».