Dernière édition des Wiener Festwochen pour son directeur artistique Luc Bondy, nommé – non sans controverse – à la tête du Théâtre de l’Odéon en remplacement d’Olivier Py. Après une Tosca davantage remarquée par la presse et le public pour ses interprètes que pour sa pertinence scénique1, le metteur en scène suisse présente Rigoletto, spectacle à nouveau coproduit par la Scala et le Metropolitan Opera.
Nous avions admiré le travail de Luc Bondy sur Idomeneo à l’Opéra Garnier, où la vérité et la profondeur de l’opéra mozartien se dévoilaient sur un rivage sableux et incertain ; travail secondé il est vrai par une équipe de chanteurs et d’acteurs prodigieuse, Joyce DiDonato et Mireille Delunsch en tête. Mais il s’avère difficile, même avec les meilleurs sentiments du monde, de défendre de la même façon ce Rigoletto, sentiment partagé – à en croire les huées qui accueillent le metteur en scène aux saluts – par une large partie du public de cette première. Il y a sans doute une « malédiction Rigoletto », la malédiction de ces œuvres que l’on aime sans limite, mais auxquelles l’on voudrait trouver un sens au delà de leur essence, sens que l’on ne trouve évidemment jamais, et qui finissent par se perdre dans l’outrance ou l’affligeante banalité. L’entreprise de Luc Bondy est donc à créditer d’un vrai courage théâtral. Il est malheureusement vain. Scéniquement, le spectacle est bien terne : les deux premiers actes organisés autour de panneaux noirs modulables et de quelques meubles dépareillés nous font penser à ces « mises en espace » en vogue, tandis que le troisième acte est dominé par cette drôle de maison en carton et sur pilotis. L’ensemble est d’un noir à pleurer, à peine égayé par le kitsch violacé de costumes sans époque. Les mouvements de chœur se révèlent vite encombrants, et, hormis l’excellent couple de tueurs à gages et la force des ensembles du IIIe acte, le jeu d’acteurs enchaîne les stéréotypes et n’atteint pas la qualité que l’on pourrait espérer d’une nouvelle production longuement répétée et dirigée personnellement par le metteur en scène (sans mauvais esprit aucun, nous attendons avec impatience les réactions des publics new-yorkais et milanais).
La distribution est sans doute volontairement modeste, et, si elle bouleverse rarement, elle révèle néanmoins de belles surprises. Chen Reiss dans le rôle de Gilda en est une. La soprano doit absolument gagner en assurance et en tenue dans les aigus mais son timbre agréable, sa fragilité et son engagement se départissent fort bien d’un rôle où beaucoup d’autres peinent à se singulariser. Le baryton géorgien George Gagnidze, qui a déjà chanté Rigoletto notamment à New York et Los Angeles, apparaît comme une grosse cylindrée. Si elle excède peut-être un peu la phrase verdienne, la voix fait forte impression : son corps occupe aussi bien la scène que son souffle remplit le Theater an der Wien. Francesco Demuro en Duc de Mantoue s’installe depuis quelques temps sur les grandes scènes européennes. Il s’agit pourtant d’un de ces ténors que nous trouvons sans vie, sans histoire et sans frisson et qui, à 30 ans, nous semble plus vieux que Placido Domingo et Carlo Bergonzi réunis. A l’instar du chant, le jeu parait forcé et les airs désaffectés. Le couple Sparafucile/Maddalena (Gábor Bretz et Ieva Prudnikovaite) s’avère bien plus passionnant : par sa rage bohème, il relève la saveur de la deuxième partie du spectacle.
Si l’excellent Arnold Schoenberg Chor se laisse malheureusement trop emporter par son nombre (on l’a connu beaucoup plus subtil), l’orchestre de l’Österreischicher Rundfunk, livre une belle prestation, nuancée et précise, sous la baguette concentrée du jeune et très prometteur chef israélien Omer Meir Wellber. Comme souvent alors pour Rigoletto, l’ennui vient de la scène et non de la fosse.
1 Voir le compte-rendu de Pierre-Emmanuel Lephay à Munich.