Malgré la réorientation de sa programmation vers la comédie musicale, le Théâtre du Châtelet reste fidèle à un compositeur dont on a pu voir sur cette même scène une des œuvres dès 2000. Après Nixon in China la saison dernière, et avant The Flowering Tree, dont on vient d’apprendre qu’il sera donné en création française en mai 2014, le Châtelet offre donc au public parisien I Was Looking at the Ceiling and I Saw the Sky, qui avait jadis été accueilli par la MC93 de Bobigny, haut lieu de la défense de John Adams en France. Mais à la différence de la plupart des œuvres lyriques de John Adams, celle-ci n’est ni un opéra, ni un oratorio, mais un musical. Loin de l’inspiration historico-politique de ses deux premières œuvres scéniques, loin de la religiosité de ses actions bibliques, il s’agit ici d’un songplay, où l’on serait tenté de voir l’équivalent direct du singspiel allemand, à la différence près que les morceaux musicaux s’enchaînent sans jamais laisser la place au dialogue parlé. Au cours des 23 numéros que compte la partition, Adams aborde tous les styles de la musique populaire d’aujourd’hui : rythmes latino-américains, « soul à la Stevie Wonder », « Hard blues à la Joe Cocker », hommages au jazz et au rock. Le pastiche est très réussi, à tel point qu’on croit souvent ne plus du tout entendre la musique si inventive de l’auteur de The Death of Klinghoffer, mais de la sympathique variétoche plus ou moins inspirée. Non que la partition soit dénuée de moments forts – qui se trouvent souvent être ceux ou le style personnel d’Adams remonte à la surface – mais rares sont les songs qui emportent vraiment l’adhésion, comme le trio des femmes, « Bad Boys », où ces dames jouent sur les différents noms américains de l’organe viril (bone, fish, flower…), auquel répond le très enthousiasmant blues « Sweet Majority Population of the World », dans lesquelles les quatre hommes chantent le sexe dit faible, mais de façon infiniment moins crue.
Pour monter ces œuvres qui se rangent finalement auprès des autres musicals programmés par le Châtelet cette saison, il a été fait appel à un homme de théâtre auquel cette salle doit l’une de ses grandes réussites : Giorgio Barberio Corsetti, qui avait collaboré avec Pierrick Sorin pour une mémorable Pietra del paragone (qui sera reprise l’an prochain). Cette fois, entouré d’une équipe italienne, le metteur en scène italien propose un spectacle où l’on admire la totale maîtrise de la vidéo, toujours utilisée à bon escient pour varier les atmosphères d’un numéro à l’autre, avec notamment des effets comiques très réussis. Les décors, très mobiles, sont réussis, avec un spectaculaire effondrement lors de la scène du séisme. On en vient presque à regretter que tant d’art, tant de talent soit déployé pour servir un livret aussi banal que celui de la poétesse jamaïcaine June Jordan. Qu’est devenue Alice Goodman, auteur du texte des deux premiers opéras de John Adams ? Le ragoût de bons sentiments qui nous est ici servi est assez fade et a du mal à transcender l’anecdote (un jeune noir arrêté injustement est libéré par le tremblement de terre de Los Angeles en 1994). Quant à la partition, on l’a dit, si virtuoses que soient les huit instrumentistes admirablement dirigés par Alexander Briger, qui présidait déjà aux destinées de Nixon in China l’an dernier, elle laisse plus d’une fois l’auditeur sur sa faim.
La distribution, évidemment sonorisée, est assez homogène. Les trois voix de femmes sont souples et chaleureuses, comme il convient pour cette musique où la maîtrise du style compte finalement plus que les performances vocales. La mezzo Wallis Giunta est une actrice très convaincante dans son rôle de présentatrice du journal télévisé, Hlengiwe Mkhwanazi touche en immigré salvadorienne et mère de multiples enfants, tandis que Janinah Burnett, vue au Châtelet dans Treemonisha et enregistrée récemment dans la même œuvre, se taille un beau succès. Parmi les hommes, le ténor Joël O’Cangha semble avoir la voix parfois un peu légère, malgré une belle agilité ; confronté à une partition parfois tendue, le baryton Jonathan Tan est réduit à glapir quelques aigus. Rien à redire en revanche aux prestations de John Brancy, en policier troublé par la découverte de son homosexualité, ni de Carlton Ford, héros solaire (« I’ve got sunlight », chante-t-il au début et à la fin de l’œuvre) et convaincant. John Adams voulait composer un musical, il l’a fait, et il est heureusement passé à autre chose depuis.