Longtemps les Meistersinger nous ont semblé longs. Nous espérions sincèrement que l’équipe réunie par le Bayerische Staatsoper réussirait à nous faire oublier les prolixités du premier acte et l’inutilité dramatique du deuxième. Cela ne fut pas le cas. Une proximité plus grande avec la langue allemande permettrait peut-être de ne pas se sentir tenu à l’écart du chef-d’œuvre vanté par beaucoup. Cette mise à l’écart, on la doit d’abord à David Bösch. Sa mise en scène utilise ici la même esthétique que pour son très réussi Orfeo de Monteverdi sur cette même scène. Transposé dans une banlieue pauvre et grise des années 80, son propos semble chercher une poésie pasolienne totalement incompatible avec le flot verbal et musical surabondant voulu par Wagner. De plus certains parti pris nous semblent difficiles à justifier : pourquoi affubler Stolzing d’un irrespect adolescent, voire d’une certaine grossièreté qui colle mal avec la noblesse de sa naissance et la qualité de son chant ? Certes le personnage est différent des autres, mais il n’est pas dilettante pour autant, et la mise en scène a trop vite fait de transformer un rebelle en sale gosse. Certains gags font cependant sourire et apporte une gaieté bienvenue (la chaise du chanteur devenue électrique sur un ring de boxe au premier acte, Stolzing brisant le buste chéri du compositeur, Beckmesser aux prises avec un élévateur récalcitrant pour sa sérénade au II ou affublé d’un costume disco flashy au III). Reste qu’une des contradictions principale du livret est aggravée : comment une confrérie en perte de popularité réussit-elle à susciter un tel engouement pour son concours ? Le décor brut de la cité au deuxième acte est bien celui d’une population détournée de l’art et uniquement consommatrice de spectacles (les paraboles). Est-ce aussi pour forcer le trait que cet acte se termine avec le lynchage de Beckmesser par des figurants portant masques de singe et qui rendent impuissant la police/veilleur de nuit ? Les immenses bannières de fan adressées à chacun des maitres au troisième acte n’en sont que plus incompréhensibles. Cette mise en scène vaut finalement avant tout par sa direction d’acteurs extrêmement vive et chaleureuse, qui nous a emporté à défaut de susciter notre adhésion.
© Wilfried Hösl
Il était en revanche difficile de ne pas adhérer à la musique ce soir-là ! Tous les maîtres réussissent à se distinguer les uns des autres avec bonheur, avec une mention spéciale pour le fringuant Kothner d’Eike Wilm Schulte. Au Veit Pogner de Christof Fischesser on reprochera seulement une santé vocale trop ardente et une présence physique qui le font plus passer pour le grand frère de Stolzing que pour son futur beau-père. Le David très clair et puissant de Benjamin Bruns réussit avec art à traduire la maladresse érudite du personnage sans sombrer dans la guignolade. Tout comme la Magdalene d’Okka von Damerau qui jouit d’un médium riche et velouté. Sara Jakubiak propose une Eva en pleine possession de ses moyens mais manquant de subtilité et de tendresse à notre goût, notamment dans les aigus. Tête à claque de génie, Martin Gantner est un Beckmesser impayable, à la fois détestable et attachant, qui jamais ne sacrifie la qualité de son chant aux effets théâtraux, il sera ovationné par la salle. Stolzing ne pose évidemment aucun problème à Jonas Kaufmann et le rôle lui permet de faire montre de toutes les qualités dramatiques et musicales qu’on lui connait déjà, alternants airs époustouflants et une finesse comique qu’on ne lui soupçonnait pas. Pour Sachs, Wolgang Koch affiche une technique solide (et il en faut, vu la longueur du rôle !) et une vraie attention dramatique mais manque de variété et d’impact dans l’expression de la nostalgie qui rend le personnage si attachant. Sa composition débonnaire lui donne des faux airs de Bryn Terfel, l’éloignant finalement trop de son double juvénile qu’est censé être Stolzing.
Inutile de dire à quel point les chœurs du Bayerische Staatsoper sont ici excellents, ni de démontrer que la partition n’a plus aucune secret pour l’orchestre du lieu. La direction de Kirill Petrenko est cependant assez étonnante : sans excès de rutilance, elle réussit à être très entraînante, roborative au point de friser l’indigestion sonore parfois mais toujours impressionnante dans sa maîtrise des contrastes et son énergie. La scène n’est par ailleurs jamais couverte et les moments plus intimistes sont tout aussi excellents. C’est d’ailleurs au début de l’acte III que l’orchestre se montre le plus époustouflant, alors que la mise en scène colle fugacement mais parfaitement à la triste légereté du moment.