Né en 1988, le jeune David Junghoon Kim a déjà derrière lui un superbe palmarès : premier prix des Voci Verdiane à Busseto, prix Plácido Domingo dans la compétition Francisco Viñas de Barcelone, demi-finaliste du Concours de la Reine Elizabeth ou encore Premier Grand Prix Hommes à l’unanimité du jury à Toulouse, doublé d’un Prix du Public. Le ténor coréen a également fait partie du Jette Parker Young Artists Programme, ce qui l’a conduit à chanter régulièrement des rôles secondaires sur la scène du Royal Opera où nous l’avions déjà remarqué : Nathanaël dans Les Contes d’Hoffmann, le Conte de Lerme dans Don Carlo, Pong dans Turandot pour n’en citer que quelques uns. Mais l’épreuve de la scène exige des qualités plus rares que celles de simple bête à concours, surtout dans un des rôles les plus longs et les plus tendus du répertoire de ténor (Roméo chante ainsi généralement plus haut que Juliette). Scéniquement, David Junghoon Kim reste un peu trop placide (d’où peut-être son prix Domingo), avec un visage insuffisamment expressif. Mais, vocalement, le pari est gagné haut la main : le timbre reste corsé et chaleureux tout au long de la soirée, sans traces de fatigue. Le style est impeccable, avec un parfait legato et un beau phrasé. La diction et la prononciation sont quasiment irréprochable. Enfin, le finale de l’acte III est couronné d’un contre-ut sans effort apparent. Voici un artiste dont il faudra suivre les progrès. Née en 1987, Olena Tokar a également un beau palmarès à son actif : finaliste aux concours Ferruccio Tagliavini et Francisco Viñas ainsi qu’à celui de Cardiff, premier prix aux concours de Lortzing, Leipzig et à l’ARD International Music Competition de Munich. Elle campe une Juliette infiniment crédible de par sa tournure et son aisance théâtrale remarquable. Le timbre est un peu métallique. La technique est parfaite, permettant d’offrir une valse idéalement brillante, avec des coloratures parfaitement exécutées, et un aigu sûr. La voix est sans doute un peu trop légère dans l’absolu : la scène du poison, beaucoup plus dramatique, est certes convaincante, mais on sent que le soprano ukrainien y jette toutes ses forces. Globalement, le français est également très correct. Quoique un peu disparates, les deux jeunes chanteurs forment donc ainsi un couple attachant.
Avec quatre duos d’amours et deux airs pour chacun des deux protagonistes principaux, la partition de Gounod laisse peu d’espace aux autres interprètes (une bonne dizaine pourtant). Parmi ceux-ci on remarquera en particulier le Capulet de Clive Bayley, bien chantant, au français quasi parfait, dont l’incarnation est surtout d’une rare humanité, campant un père, à la fois aimant et maladroit, aveugle aux sentiments de sa fille, inhabituellement touchant. Le Stephano d’Anna Grevelius est sympathique à souhait, de même que la Gertrude d’Olivia Ray, très éloignée de la matrone habituelle. Le Frère Laurent de Mats Almgren est un brin caverneux, sonore et homogène sur toute la tessiture mais à l’articulation peu claire. Le Duc d’Arshak Kuzikyan à l’aplomb et l’autorité requise, mais la voix manque un peu de projection. Le Tybalt d’Anthony Flaum, enfin, est particulièrement bien chantant et scéniquement inquiétant. Les chœurs sont sonores et d’un français très compréhensible, l’acoustique excellente de la salle permettant d’apprécier les différents pupitres plutôt qu’une masse confuse.
A la tête de l’orchestre de l’English National Opera, phalange de grande qualité, Stephen Barlow offre une direction vive et dynamique, sans mièvrerie, très « française », soutenant l’attention tout au long de cette longue partition. Ce n’était pas une mince affaire compte tenu de la chaleur étouffante de la salle, dont la climatisation laisse encore à désirer : rappelons que le théâtre a été construit en un an, sans un sou d’argent public. La mise en scène de Patrick Mason transpose l’action sous le fascisme italien, mais les conséquences sont essentiellement esthétiques. La direction d’acteur est crédible et fouillée. Last but not least (pour rester dans le ton), l’ouvrage est donné dans son intégralité, exception faite du ballet dont une partie est conservée en introduction du cortège nuptial de l’acte IV : on entend ainsi le duo de l’acte II complet (alors qu’il est souvent coupé à partir de « Comme un oiseau captif ») et la courte scène entre Frère Laurent et Frère Jean (scène indispensable qui sert à expliquer pourquoi Roméo n’est pas au courant que la mort de Juliette est simulée). Les théâtres français ne sont pas souvent aussi respectueux de notre répertoire.