Contraint l’année dernière de quitter son site historique de Northington, le Grange Park Opera a réussi l’exploit de se contruire un nouveau théâtre en à peine 384 jours et pour un budget modeste de 8 millions de livres sterling, entièrement financé par des donateurs. La décoration devra attendre une année de plus, mais la salle était déjà prête à accueillir ses premiers spectacteurs pour une série de représentations de Jenufa, Die Walküre et Tosca, ainsi qu’un concert avec Bryn Terfel. La forme de la salle est calquée sur celle de la Scala, offrant une acoustique absolument remarquable. Tradition oblige, comme dans la salle précédente, les sièges sont d’anciens fauteuils du Royal Opera.
L’autre événement de cette ouverture, était la prise de rôle de Joseph Calleja en Mario Cavaradossi. Le ténor maltais offre une composition intéressante de son personnage, à la fois héroïque et saisi par le doute, excellent acteur (son exécution provoque les frissons). La voix est toujours aussi puissante et le timbre, dans cette salle relativement intime, encore plus enjoleur. Si le vibratello typique de ce chanteur est cette fois très discret, l’extrême aigu est toutefois affecté d’une curieuse vibration à la limite du graillon. Calleja chante ces airs rebattus avec une remarquable musicalité et une grande poésie, alliant les registres mixte et de poitrine dans de beaux clairs-obscurs. Sa Tosca n’est malheureusement pas au même niveau. Vocalement, Ekaterina Metlova assure quasiment sans failles toutes les écueils de la partition. La voix est puissante et le timbre plutôt capiteux, mais la chanteuse semble toute encombrée d’elle-même : visage impassible avec de nombreux coups d’oeil vers le chef, bras et mains dont elle ne sait que faire… On est loin de la diva de la scène qu’elle est censée incarner. En Scarpia, Roland Wood rappelle (de loin) physiquement et vocalement James Morris. La ligne de chant est impeccable, le personnage raisonnablement racé, sans vulgarité. La projection n’est pas exceptionnelle mais suffisante, et toutes les subtilités du personnage sont intelligement traduites par la voix. Les seconds rôles, interprétés par de jeunes artistes, sont tous remarquables. Adam Tunicliffe est un Spoletta inhabituellement sonore. L’Angelotti de Jihoon Kim a pour lui une belle voix de basse et de beaux talents d’acteurs. Simon Wilding est un Sacristain bien chantant, sans caricature. Lancelot Nomura est un Sciarrone à la voix de bronze. Le page est ici interprété par une jeune femme, Rosemary Clifford, excellente même si elle ne parvient pas tout à fait à restituer la poésie de la voix de soprano mâle. Le choeur est impeccable. La partie des enfants au premier acte est chanté par les sopranos au milieu des jeunes figurants. A la tête de l’orchestre de la BBC, Gianluca Marciano offre une direction correcte, mais qui ne sort pas de la routine.
La production de Peter Relton transpose l’action dans l’Italie fasciste (la référence à Bonaparte disparait au profit de l’Ethiopie !) ce qui permet à Francis O’Connor de proposer un décor absolument magnifique et spectaculaire, mélangeant les ambiances de luxe décadent et des images d’un monde en train de s’effondrer. Les détails dramatiques abondent et il est impossible de tous les citer. L’un des plus marquants est l’exécution particlulièrement réaliste de Mario, ligoté sur un chaise face au public, dont le corps tressaille et la bouche s’emplit de sang lorsque le peloton fait feu.