Soprano ? Mezzo-soprano ? Baryton ? Quel type de chanteur pour Les Nuits d’été ? La réponse est plurielle. Berlioz a composé son cycle pour plusieurs voix mais le pouvoir en est tel qu’aucun artiste sur le chemin de la gloire ne peut refuser de se confronter à l’intégralité de la partition, avec les difficultés que cela comporte.
Ténor surdoué, propulsé sur le devant de la scène en quelques saisons (bien que son parcours, de son propre aveu, n’ait pas été un long fleuve tranquille), Benjamin Bernheim relève le défi à La Grange au Lac. Un peu trop tôt ? Un peu trop vite ? L’œil attaché à la partition, le chanteur doit composer avec une écriture souvent inconfortable pour sa tessiture. Excès de précaution ou volonté d’expression, l’interprétation opte pour l’intimité du murmure au point de souvent donner l’impression d’un concerto pour voix et orchestre. Nicolas Chalvin, à la tête de ses forces savoyardes, apporte tout le soutien nécessaire, phrase et nuance autant que possible. Rien n’y fait. Ces Nuits d’été avancent à tâtons dans l’obscurité, à quelques éclats de lumière près (« L’île inconnue »), où le chant sort de son excessive réserve pour tenir ses promesses.
Benjamin Bernheim © Aline Paley
Tout autre est la deuxième partie. Alors que l’on s’apprêtait à remiser son enthousiasme au vestiaire, la romance de Lenski nous rattrape au vol, suivie par quelques-uns des plus beaux airs écrits pour voix de ténor. Malgré l’alternance obligée de pages vocales et symphoniques, l’étreinte ne se desserrera plus.
Ce qu’il y a de miraculeux avec Benjamin Bernheim, c’est sa capacité à toujours se dépasser. Ainsi ce rêve de des Grieux dont on connaissait la douceur, exhalé à fleur de lèvres. Ainsi cette romance de Roméo éblouissante, où le nuancier, largement ouvert, du murmure à l’éclat, autorise toutes les teintes. Ainsi cette « Nature immense » dont Nicolas Chalvin gradue à bon escient l’intensité, porté à bout de bras jusqu’au climax cathartique. Ainsi en bis, « una furtiva lagrima », d’une candeur désarmante bien que la langue française convienne mieux que l’italienne à la couleur de la voix, et surtout « Pourquoi me réveiller », l’air de Werther que l’on espère, comme Roméo, bientôt applaudir intégralement sur scène.
Le point commun entre ces morceaux de bravoure : l’élégance. Non une attitude affectée ou guindée mais une distinction naturelle qui fait le chant patricien. Magnifique, la quinte aiguë n’est jamais exhibée. Les registres sont mixés à bon escient dans la seule intention de servir l’expression. Faut-il mentionner la clarté de la diction ? Considérée à présent comme une évidence, la justesse de la prononciation a suscité maintes fois l’analogie avec Roberto Alagna et Georges Thill. Référence avouée, assumée et maintenant dépassée. Benjamin Bernheim a largué les amarres qui le rivaient à ses modèles. Tel le soleil appelé de ses vœux par Roméo, le ténor s’est levé.