Le festival baroque Alessandro Stradella écume depuis dix ans le magnifique territoire de la Tuscia, depuis des lieux patrimoniaux les plus prestigieux jusqu’aux villages les plus isolés comme le ravissant Civitella d’Agliano ou ce soir le surprenant Celleno, surnommé « il burgo fantasma » car près de 80% de l’éperon rocheux s’y est effondré, forçant ses habitants à abandonner la localité. Le village fantôme est un lieu au charme prenant, particulièrement adapté à cette proposition en plein air d’une épatante originalité.
Le programme reprend le contenu du CD Nuove Espana paru chez Alpha et chemine avec les caravelles de la Renaissance pour un voyage triangulaire entre l’Afrique, l’Espagne et le Nouveau Monde. Il démontre la richesse d’un syncrétisme musical bien antérieur à l’émergence du jazz.
« Los Ymposibles » en est un bon exemple : le manuscrit, conservé à Mexico, est celui d’un compositeur espagnol qui reprend une mélodie romaine ! Andrea De Carlo s’y ose chanteur pour la toute première fois. Intrépide, il improvise brillamment à la viole de gambe, tout au long de la soirée, sans partition.
© Festival Baroque Stradella
Ce concert, de son aveu même, est l’un des fétiches de l’ensemble. Plein de fougue et de joie, il repose essentiellement sur des danses qui évoquent les trois continents.
Les artistes, tous d’excellente tenue, partagent un plaisir manifeste tout en sourires complices en dépit d’un « vent contre » qui ne facilite pas l’équilibre des pupitres et met trop en avant le clavecin impeccable, extrêmement attentif, mais trop sonorisé de Lucia Adélaïde di Nicola. L’essentiel de l’équipe est issue du Stradella Young Project, soutenu par le ministère italien de la Culture, qui favorise depuis dix ans l’intégration de jeunes musiciens dans le monde professionnel.
Serena Seghettini, à la viole de gambe, fait montre d’autant de virtuosité et d’intelligence musicale que son professeur. En particulier dans l’interprétation de l’air « Marizapalos », tout comme l’introduction à la guitare par le talentueux Elias Conrad, elle nous emmène déjà dans tout un voyage, celui d’une chanson du Palais Royal de Madrid, mais repris dans une version de Lima.
Impossible de ne pas battre la mesure avec les pizzicati délicieusement rythmés d’Eduardo Blasitti dans « Xacaras » ou avec les deux danses de Noël venues du Pérou, « Cahua a voz y bajo» et « Cachua del Nacimiento » que tout le plateau reprend en chœur, sans façon, pour faire passer le message des habitants de l’époque qui entendent faire la fête à leur manière et non à celle des européens. La soprano Sofya Yuneeva n’a eu que 24h pour découvrir les partitions. Elle remplace au pied levé, avec un grand professionnalisme, une victime du Covid. Elle affirme l’aisance de ses aigus comme la sensibilité souriante de son interprétation et apparaît ici plus à l’aise que dans « la Dama d’Arago », instable, parfois détimbré, néanmoins très émouvant.
En somme, cette musique s’avère populaire autant que savante, comme le prouve le brillant « Canarios » : sa superbe mélodie se double d’une alternance de soli et tutti qui met chacun des interprètes en valeur à l’image d’Irene Caraba, Amleto Matteucci, engagés et précis.
Le programme tout en légèreté n’en demeure pas moins très informé d’un point de vue musicologique avec des raretés découvertes dans les bibliothèques d’Amérique du Sud. Ce n’est pas si souvent que l’on peut entendre un air quechua du XVIIe siècle comme l’« Hanaq Pachap » de Juan Perez Bocanegra !
Le festival Stradella propose donc une fois encore une production exigeante, culottée, où brillent les talents des musiciens et qui s’achève dans la jubilation d ‘un « El Gujolote » endiablé.