C’est le 7 mai 1824 que Beethoven, alors totalement sourd, crée au Kärntnertortheater de Vienne l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique. On sait l’accueil délirant du public, que Beethoven, si souvent incompris et qui dirigeait l’orchestre (en réalité, il y est aidé par plusieurs musiciens), n’entendant pas l’ovation qui accueille la fin du concert, ne se retourne pas vers le public et il faut que la soprano Caroline Unger le prenne par l’épaule et lui montre le public enthousiaste pour que le compositeur renfrogné se rende compte de l’effet extraordinaire produit par son chef-d’œuvre.
Il y pensait d’ailleurs depuis très longtemps, à cette œuvre-monde. Il y pensait même depuis 1792, lorsqu’il avait découvert l’Ode à la Joie de Schiller, qui l’avait conçue quelques années plus tôt et qui a toujours fasciné notre génie ronchon. Beethoven avait pensé depuis longtemps intégrer des parties chorales à ses œuvres. Il voulait par exemple, initialement, écrire un chœur d’inspiration religieuse à sa symphonie pastorale et avait fait quelques essais par ailleurs. Peut-être sentait-il aussi que sa neuvième symphonie serait la dernière, bien qu’il existe les esquisses d’une 10ème ? En tout cas, il y réfléchit longtemps, la 8e datant de 1814. Après de nombreuses ébauches, hésitations, allers et retours, le compositeur, plus que jamais enfermé dans son monde intérieur, se met au cœur de la partition à partir de 1822
Pour sa symphonie, l’une des plus longues du genre, Beethoven voit les choses en grand pour l’époque : un chœur mixte à 4 parties pour le dernier mouvement, 5 pupitres complets de cordes, 20 instruments à vent : les bois par deux, 4 cors, deux trompettes, 3 trombones, 1 contrebasson, une percussion plus élargie que jamais (timbales, cymbales, triangle, grosse caisse, caisse roulante). Le finale est un feu d’artifice, un message d’amour fraternel au monde entier. Ce n’est pas pour rien que la partition est inscrite au Patrimoine mondial de l’Humanité…
D’aucuns rappelleront cependant que la 9e symphonie était l’œuvre préférée d’Adolf Hitler, alors que ce dernier ne pouvait pas être plus éloigné des idéaux de Beethoven que ne l’est l’affreuse murène du noble lion. À deux jours près, si Robert Schuman l’avait su, il aurait pu faire sa fameuse déclaration fondatrice tout juste 126 ans après la création et voilà comment la fête de l’Europe aurait pu passer du 9 au 7 mai ! Devenu en 1972 hymne du Conseil de l’Europe à partir d’un arrangement conçu par Karajan qui en a tiré de substantielles royalties, le célèbre thème qui débute par « Freude, schöner Götterfunken / Tochter aus Elysium », devient celui de l’UE en 1985.
Lors d’un concert resté dans les mémoires à Berlin à la noël 1989, Leonard Bernstein, qui avait rassemblé les membres de plusieurs orchestres de l’Ouest et de l’Est, avait remplacé le mot « Freude » (Joie) par « Freiheit » (Liberté) comme c’est d’ailleurs le cas dans la version originale de Schiller, sauf erreur. 10 ans auparavant, le même Bernstein, grand défenseur s’il en fût des droits civiques, dirigeait avec son exaltation coutumière, la symphonie à Vienne (avec en solistes Kurt Moll, René Kollo, Gwyneth Jones et Hanna Schwarz), provoquant à la fin du concert une ovation qui ne devait pas être éloignée de celle qui submergea Beethoven il y a tout juste 196 ans.