Voici 100 ans, à Stuttgart, Fritz Busch dirige la première de deux opéras de poche de Paul Hindemith : Mörder, Hoffnung der Frauen [Assassin, espoir des femmes, sic] et Das Nusch-Nuschi. Il s’agit des deux premiers volets d’un triptyque expressionniste qui se conclura l’année suivante avec Sancta Susanna, et c’est la première incursion du compositeur, alors konzertmeister de l’orchestre de l’opéra de Francfort, dans le monde lyrique.
L’accueil du premier volet est des plus agités dans le public. Il faut dire que ce Mörder adapte une œuvre d’Oskar Kokoschka, peintre et écrivain emblématique de cette mouvance expressionniste qui traverse toutes les formes artistiques après la boucherie qui vient de s’achever. Elle reste très hermétique au public et son argument déroute bien davantage que sa musique, Hindemith ayant adopté un style encore assez classique dans sa forme et dans son expression, hésitant entre modernisme, post-romantisme et même néo-classicisme.
Hindemith, qui a 25 ans au moment de la création, avait fait connaissance quelques années plus tôt avec l’univers si particulier de Kokoschka à travers la nouvelle revue « Kunstblatt », à laquelle l’écrivain collaborait. Il avait notamment été frappé par la publication de Mörder, Hoffnung der Frauen, en 1917, qu’il avait décidé d’adapter comme premier volet du triptyque précité et qu’il écrit entre 1919 et 1920. Kokoschka, que l’expérience traumatique du front a – c’est un euphémisme – profondément marqué, décrit dans son œuvre au style informel une sorte de guerre symbolique, dans des temps immémoriaux, entre les hommes et les femmes. Une guerre amoureuse où l’homme « conquérant » part à l’assaut de la femme « forteresse », retranchée dans une tour. Le duel entre les deux « chefs », soutenus de chaque côté par des chœurs, est une sorte de surenchère violente où l’on se blesse, on se torture, on s’emprisonne, avec un arrière-plan sexuel évident, le tout dans une atmosphère des plus malsaines. L’homme marque la femme au fer rouge et la femme lui perce le flanc avec un poignard. Malgré tout cela, la femme ne peut réfréner son désir pour l’homme, qui la repousse. Perdue, comme devenue folle, la femme se précipite du haut des escaliers, renversant des brasiers qui enflamment toute la tour d’un feu « purificateur », faisant fuir les deux armées qui pensent voir là l’œuvre du diable…
Expressionnisme ? Symbolisme ? L’œuvre de Kokoschka est en tout cas radicale dans son extrême violence. Hindemith s’efforce de donner à ce texte d’une grande sécheresse, un cadre musical qui le canalise, parfois même avec une douceur déroutante. Hindemith ne sera pas tendre avec ce premier opus lyrique, pas davantage qu’avec les deux autres volets du triptyque, et cette partition d’à peine 25 minutes ne sera reprise qu’après sa mort. Elle sera enregistrée par Gerd Albrecht en 1987 mais très rarement produite. On ne garde de ce triptyque que le provocateur et tourmenté Sancta Susanna, qu’on a pu voir voici quelques années à l’Opéra de Paris… Mais c’est une autre histoire.