Kapellmeister de la ville de Stuttgart, où l’avait appelé le duc Charles-Eugène de Würtemberg en 1754, Niccolò Jommelli avait renoncé à cette charge 15 ans plus tard, brouillé avec son employeur. Le musicien, qui a alors 55 ans et qui est usé, décline l’invitation du roi du Portugal et rentre chez lui, près de Naples et le voyage de retour est dramatique puisque sa femme meurt en chemin. Il n’a par ailleurs plus un sou et a été contraint de laisser ses partitions à Stuttgart sur ordre du duc. Il est donc obligé de composer de nouvelles œuvres et vite.
Coup de chance, c’est une maladie providentielle de son confrère Sacchini qui va lui permettre de composer, non pas son dernier opéra – il en fera ou en reprendra encore quelques-uns jusqu’à sa mort en 1774 – mais son ultime chef-d’œuvre. Sacchini travaillait à mettre en musique un énième livret adapté de l’Armide du Tasse, concocté cette fois par Francesco Saverio de Rogati. L’œuvre est destinée au San Carlo de Naples où le confrère de Jommelli bénéficie d’une aura considérable. L’enjeu est de taille pour son aîné de 16 ans. Il conçoit donc, puisque le livret s’y prête, une partition où il fait appel à tous les ressorts du théâtre, avec moults effets spectaculaires, et même de la danse.
Mais les qualités de cette Armida abbandonata ne suffiront pas à faire chavirer les Napolitains, qui regrettaient sans doute trop leur chouchou Sacchini, tout Florentin qu’il était. Malgré la distribution et le grand spectacle, l’accueil du public, voici 250 ans jour pour jour, est frileux. Le jeune Mozart, 14 ans, se trouve alors à Naples avec son père et assiste à la fois aux répétitions et à la première. Il semble que Jommelli les ait d’ailleurs fort bien reçus malgré un certain ressentiment éprouvé par l’austère Leopold vis-à-vis du Napolitain. Wolfgang trouve pour sa part l’œuvre de Jommelli d’abord fort belle, mais finalement… « trop raisonnable et trop archaïque pour le théâtre ». En somme, un plaisir démodé… Ah, ces jeunes…
Cependant, l’opéra contient suffisamment de qualités pour connaître une belle carrière durant quelques années. Il faudra attendre cependant la fin des années 90 et un enregistrement de Christophe Rousset pour le voir renaître.
Tout critique qu’il était, le même Mozart louait le chant « incomparable » de la prima donna Anna de Amicis, créatrice du rôle titre à Naples. Et justement, quelques années après avoir enregistré l’intégrale, Christophe Rousset et ses Talens lyriques accompagnaient la fort belle voix de Teodora Gheorghiu (aucun lien avec Angela, semble-t-il) dans un disque récital fort bien accueilli et consacré aux grands rôles de « la Amicis » comme on dit en Italie sans que ce soit nullement péjoratif. Voici donc l’air de fureur d’Armide à la fin de l’acte II, « Miser’Armida (…) Oddio, furor, dispetto ».