Malgré de précédents accueils mitigés avec La Favorite ou Les Martyrs pour la salle Le Peletier en 1840, Donizetti revient à Paris, alors considérée comme une capitale incontournable de la musique (et pas seulement « pianopolis » comme on l’appelait alors), avec un projet d’opéra comique pour… l’Opéra-Comique. La Salle Favart était en effet restée, elle, sur le grand triomphe de La Fille du régiment la même année. Le livret de ce nouvel opus, justement appelé Ne m’oubliez pas est confié à Vernoy de Saint-Georges qui n’a pas envie de s’embêter plus que ça, et sans doute Donizetti non plus. Et le projet tombe aux oubliettes, malgré son titre…
C’est que parallèlement, Donizetti a reçu une autre commande qui, elle l’intéresse davantage. Cette fois, c’est le Théâtre-Italien qui lui demande un nouvel opera buffa, alors que Donizetti travaille avec lui pour la création parisienne de sa Linda di Chamounix, qu’il vient de présenter à Vienne. Donizetti propose de s’inspirer d’un opéra du début du siècle resté très connu, Ser Marcantonio, de Pavesi sur un livret d’Angelo Anelli.
Luigi Lablache (créateur du rôle titre, par Bouchot)
Cette histoire est au demeurant vieille comme le monde buffo : un vieux barbon égoïste rêve d’épouser une jolie fleur qui se révèle être une peau de vache, pour mieux gagner le cœur de celui qu’elle aime vraiment par l’entremise d’un tiers. Mais Giovanni Ruffini, le librettiste choisi pour adapter le livret initial, y ajoute une dose de vraie sensibilité, dressant un portrait plus subtil du fameux barbon et davantage de sentiment. Toutefois Donizetti, très motivé, fait – pourrait-on dire – son Verdi : il harcèle Ruffini sans cesse, lui demande mille choses, puis mille autres. Pire encore : les chanteurs retenus étant de vraies stars de l’époque (la basse Lablache en vieux barbon, la Grisi dans le rôle de Norina, le ténor Mario en Ernesto et le fameux Tamburini – celui de Monsieur Choufleuri – en Malatesta), ils en rajoutent dans les demandes sur le texte. Ruffini finit par jeter l’éponge illico presto, ce qui n’empêche pas Donizetti de mener à bien, lui aussi prestissimo (quelques semaines, dit-il lui-même) la partition baptisée Don Pasquale, quitte à grapiller par-ci par-là dans ses précédentes réalisations. Et quelle partition ! Donizetti s’y surpasse littéralement, en faisant un chef-d’œuvre – le dernier peut-être, sauf à considérer le Falstaff de Verdi, juste 50 ans plus tard, à cette aune – de l’opera buffa. Donizetti dirige lui-même des répétitions réputées très difficiles en raison de la froideur de l’orchestre face à une musique qu’il ne semble pas goûter particulièrement, lui.
Giulia Grisi
La première, voici 180 ans, ne s’encombre pas de ces difficultés : le triomphe public est total et ne se démentira jamais. Comme souvent, la critique n’est pas au diapason, sans être unanime à Paris. L’œuvre rencontrera quelques échecs ailleurs, comme à Dresde où la presse écrira ce petit billet doux (Merci à Piotr Kaminski à qui je l’emprunte) :
« Ce sont d’indigents confetti
Que nous sert Donizetti
Et le pauvre Don Pasquale
Serait mieux à l’hôpital. »
Giovanni Mario (Ernesto)
Mais Don Pasquale ne quittera plus l’affiche, y compris en Allemagne. Même Berlioz, qui ne goûtait pas toujours l’art de Donizetti, appréciait certains extraits de cette partition, qu’il n’a cependant pas évoquée in extenso dans ses fameux articles du Journal des Débats. Qui ne dit mot consent ? Le public, depuis 180 ans, a déjà répondu des milliers de fois !
Antonio Tamburini (créateur de Malatesta)
Et pour commencer l’année dans la bonne humeur avec cette oeuvre qui n’en manque pas, voici le duo Malatesta-Don Pasquale par deux phénomènes qui l’ont chanté maintes fois ensemble en récital, Luca Pisaroni et Thomas Hampson.