Après Dukas et Bartók, comment s’attaquer à la légende de Barble-bleue lorsqu’on est un compositeur certes talentueux, mais devenu confidentiel ? Emil von Reznicek est l’homme d’une seule œuvre lyrique dont on ne retient d’ailleurs que l’ouverture : Donna Diana, en 1894. Il a composé néanmoins une abondante production -y compris instrumentale et il était même très respecté dans les premières décennies du XXème siècle. Mais sa réputation a souffert d’une sorte de fake news avant l’heure, donnant à penser qu’il avait été un sympathisant nazi, ce qui n’est semble-t-il pas le cas. Sa femme était d’origine juive et sa fille sera une résistante au régime. Mais tout le monde n’en a pas moins oublié Reznicek.
En 1915, il commence à composer un nouvel opéra – conte de fées autour de la figure du chevalier Barbe-bleue (Ritter Blaubart), ainsi qu’on appelle le personnage dans les contrées germaniques. Le livret lui est fourni par Herbert Eulenberg, dramaturge originaire de Cologne, qui avait produit une pièce sur le sujet en 1906. Il aurait peut-être dû se méfier : sa pièce n’avait rencontré aucun succès.
C’est peu ou prou ce qui va se passer pour l’opéra en 5 actes que Rezincek va en tirer et qui est créé voici tout juste 100 ans au Stadtheater de Darmstadt. L’œuvre est surtout centrée sur le profil psychologique de Barbe-bleue et le compositeur a réalisé la partition en pleine guerre. L’intérêt à l’époque n’est pas nul pour autant : l’œuvre est donnée à Leipzig, Vienne puis Berlin, où elle avait été refusée une première fois malgré l’aide et le soutien de Richard Strauss, qui était l’ami de Reznicek.
Désormais, à part un enregistrement unique sous le précieux label CPO, on ne connaît à peu près rien de cette partition à la musique relativement complexe, comme vous pouvez en juger dans ce petit teaser d’une production du théâtre d’Augsbourg.